The Shaking of Adventism

by

Geoffrey   J.   PAXTON

L'Adventisme ébranlé

par

Geoffrey   J.   PAXTON

Baker Book House

Grand Rapids, Michigan, 1977

G.E.R.B.

Saint-Étienne, 1982


Quatrième de couverture

Adventisme et justification : Une crise décisive

Geoffrey J. Paxton, pasteur anglican et théologien réformé, examine l'adventisme du 7e jour dans une perspective nouvelle et passionnante. Il ne se livre pas à une polémique superficielle ni ne s'attarde à des problèmes secondaires. Avec Luther il croit que si l'article de la justification par la foi se perd, c'est tout l'enseignement chrétien qui se perd avec lui.

Paxton écrit en critique bienveillant, son livre remarquablement documenté et unique en son genre, découvre l'esprit véritable de l'adventisme, une histoire qui étonnera tout protestant évangélique ou adventiste réfléchi.

La crise qui secoue aujourd'hui l'adventisme sur le sujet de la justification par la foi, et qui ébranle ses structures théologiques, est considérée par Geoffrey Paxton comme un signe de la Grâce à l'œuvre parmi les adventistes, une grâce si précieuse que les diverses communautés chrétiennes à la recherche d'un réveil spirituel devraient s'écrier à leur tour : « Que la grande vérité de Paul et des Réformateurs nous saisisse et nous secoue aussi ! ».




    I. L'Adventisme et la Réformation

  1. Les Adventistes : Héritiers de la Réformation
  2. L'enseignement fondamental de la Réformation
  3. II. L'Adventisme et la Réformation avant 1950

  4. Après un départ de mauvais augure : 1844-1888
  5. Une tentative de percée : 1888-1950
  6. III. L'Adventisme et la Réformation après 1950

  7. Après un départ de bon augure : les années 1950
  8. Conflit et progrès : les années 1960
  9. Progrès et régression : les années 1970




Partie I.

L'Adventisme et la Réformation


Introduction

Non, ce livre n'est pas une étude critique de l'adventisme, c'est davantage un effort pour comprendre le cœur même de ce mouvement, sa prétention à être choisi par Dieu comme véritable héritier de la Réformation, appelé à proclamer le message de l'Évangile dans les derniers jours.

Dans notre première partie, nous montrerons en quel sens l'adventisme se croit héritier des Réformateurs, puis nous mettrons en lumière l'enseignement fondamental de la Réformation par lequel nous évaluerons l'affirmation adventiste. L'Évangile et l'adventisme avant 1950 sera l'objet de notre seconde partie. Nous ne nous y attarderons pas outre mesure car ce sont les développements récents qui nous intéressent particulièrement. Nous ne retiendrons de cette période que ce qui est significatif pour notre époque.

Évangile et adventisme de 1950 à nos jours, sera la plus importante partie de notre étude, chacune des trois dernières décennies coïncide avec les étapes de l'évolution récente de l'adventisme. Nous laisserons les faits parler d'eux-mêmes, pour réserver nos réflexions et évaluations personnelles lors de la conclusion. Le lecteur sera peut-être surpris de ce que nous ne nous sommes pas attardés sur ce qu'Ellen G. White dit de la justification (1). Il nous a paru plus utile de considérer comment en particulier en Amérique du Nord et en Australie, l'adventisme se réfère à l'Évangile et à la Réformation. Les adventistes eux-mêmes se servent tous de Madame White pour soutenir leurs compréhensions divergentes de l'Évangile, ce n'est pas à nous de résoudre un problème aussi complexe. Pour un protestant, les différentes approches de l'Évangile au sein de l'adventisme sont bien plus riches d'enseignements que de se demander si telle ou telle compréhension de l'Évangile est conforme à ce qu'en a dit Ellen G. White. Un certain nombre de notes de bas de pages doivent permettre au lecteur de vérifier le bien-fondé de nos déclarations. Par cet ouvrage, nous souhaitons analyser le cœur ou la raison d'être de l'adventisme et non ses particularismes, sans pour autant nier leur importance pour une étude qui se voudrait exhaustive.

(1) Madame Ellen Gould White (1827-1915) collabora à l'établissement de l'Église adventiste du septième jour au milieu du siècle passé. Elle est reconnue par les adventistes comme « servante du Seigneur » douée du charisme prophétique. Elle fut guide et conseillère d'une église à la recherche de son identité.




1. Les Adventistes : Héritiers de la Réformation

Les adventistes sont souvent mal compris, et cela pour plusieurs raisons qui ne sont pas toujours faciles à déterminer. Cependant quelles que soient ces raisons, la plupart des critiques de l'adventisme n'ont pas abordé la question centrale : sa raison d'être, le cœur même de l'adventisme ; c'est ce qui explique que les adventistes ne se reconnaissent pas en général dans ces critiques. L'idée selon laquelle l'adventisme ne serait guère mieux qu'une secte non chrétienne ne correspond pas à la réalité ; le mouvement adventiste avec la plupart des Églises chrétiennes, enseigne la Trinité, la divinité du Christ, la naissance virginale, la vie sans péché et le sacrifice expiatoire du Christ sur la Croix, sa résurrection corporelle et son ascension à la droite du Père : ce n'est certes pas là le credo d'une secte non chrétienne. De plus, les adventistes croient au salut par grâce au moyen de la foi seule avec autant de ferveur que la plupart des évangéliques ; ils croient en la sanctification par l'action intérieure du Saint-Esprit, et au prochain retour de Jésus en puissance et en gloire. Quelle que soit notre critique de telle ou telle « doctrine particulière » de l'adventisme, nous devons d'abord reconnaître qu'il s'agit d'un mouvement chrétien.

On entend parfois dire que les adventistes enseignent le salut par l'observation du sabbat, je n'ai jamais entendu un seul d'entre eux dire une telle chose ; les adventistes ne croient pas davantage être acceptés par Dieu parce qu'ils observent le sabbat que parce qu'ils sont monogames ! Ceux qui reconnaissent les adventistes comme chrétiens, les accusent souvent de donner trop d'importance aux choses secondaires, ceux qui ont prêté le flanc à une telle accusation, il faut le dire, appartiennent à la périphérie de l'adventisme. Nous verrons en regard de ce que l'adventisme considère comme sa mission dans le monde, combien une telle accusation est loin de la réalité.

Ce que l'Adventisme considère comme sa mission particulière

Qu'est-ce que le mouvement adventiste considère comme sa mission particulière, sa raison d'être ? Les adventistes s'estiment héritiers de la Réforme, ils se considèrent comme les vrais protestants. Au jour où bien d'autres chrétiens refusent l'héritage du seizième siècle, les adventistes au contraire sont fiers d'appartenir à une tradition protestante, ils se considèrent comme les fils spirituels de Luther et de Calvin. Et ce n'est pas tout, cette affirmation n'est que le prélude d'une prétention bien plus grande encore. Pour nous chrétiens Réformés évangéliques, c'est déjà une surprise d'entendre les adventistes affirmer leur relation privilégiée et unique avec la Réformation, mais ils vont plus loin encore quand ils se disent appelés par Dieu à proclamer le message de la Réformation comme aucun autre chrétien ni aucune autre dénomination chrétienne n'est capable de le faire. Dans leur optique, le peuple adventiste est tout spécialement désigné par Dieu comme héritier des Réformateurs, ce n'est que par l'église adventiste que l'œuvre commencée par la Réformation atteindra son but final. Il est évident qu'une telle prétention ne peut être admise sans un sérieux examen. Pour les adventistes, le témoignage le plus prestigieux est certainement celui d'Ellen Gould White, elle décrit le mouvement adventiste comme la continuation de l'œuvre de Luther et Calvin, et au-delà d'eux, comme la poursuite de l'œuvre de l'apôtre Paul.

Dans son ouvrage La Tragédie des Siècles, Madame White dépeint le grand conflit entre Dieu et Satan, qui des précurseurs de la Réformation - Huss et Wiclef en particulier - s'étend aux Réformateurs dans leur opposition avec Rome, aux Puritains et à Wesley, pour en arriver au mouvement adventiste lui-même. C'est ainsi que Madame White écrit :

Les Vaudois témoignèrent pour Dieu plusieurs siècles avant la naissance de Luther ; dispersés en plusieurs pays, ils jetèrent les bases d'une Réforme qui commencée aux jours de Wiclef, gagna en étendue et en profondeur aux jours de Luther, et devra se poursuivre jusqu'à la fin des temps. Cette œuvre sera accomplie par des hommes disposés eux aussi, à tout endurer pour la « Parole de Dieu et le témoignage de Jésus » (Ap. 1:9) (1).

Un sujet fréquemment évoqué dans les écrits et la prédication adventistes est la continuation de la Réformation ; ainsi Madame White déclare : « La Réforme n'a pas pris fin avec Luther comme beaucoup le supposent, elle doit se poursuivre jusqu'à la fin de l'histoire de l'humanité. Luther avait une grande tâche... » (2) Ainsi la Réformation ne s'acheva pas avec Luther, mais elle arrivera à son terme par le mouvement adventiste - c'est ainsi en tout cas que les adventistes justifient leur existence. Ils sont disposés à relever le défi lancé par Dieu, et à tout endurer pour la « Parole de Dieu et le témoignage de Jésus » comme l'ont fait leurs prédécesseurs.

Pour Madame White, Luther a bien mis en relief la doctrine de la justification par la foi, (3) mais il n'a rien inventé ni innové : « Christ était protestant... Luther et ses disciples n'ont pas inventé la religion réformée, ils l'ont simplement acceptée telle que l'ont enseignée Christ et les apôtres ». (4) Par de telles déclarations, Madame White ne considère ni son ministère ni celui de l'adventisme comme un phénomène religieux récent, le mouvement a simplement mission de transmettre le flambeau de l'Évangile éternel reçu des mains des Réformateurs. W. Prescott confirme ce point de vue de Madame White ; au début du siècle il fut éditeur d'une publication adventiste ayant pour titre The Protestant Magazine. A l'heure du modernisme théologique et du déclin spirituel, les adventistes se considèrent comme les gardiens de l'héritage protestant. Dans cette revue on peut lire :

Le protestantisme a perdu de vue ses principes fondamentaux, il a laissé la philosophie humaine supplanter la vérité, il a donné l'occasion à l'Église de Rome d'affirmer que la Réformation n'était qu'illusion, et que le roc inébranlable de la vérité se trouvait dans la communion romaine (5).

Les éditeurs de cette revue n'ont pas jugé nécessaire de s'excuser auprès de leurs lecteurs de l'avoir qualifiée de protestante, c'est la preuve qu'ils se considèrent bel et bien comme protestants ; ils justifient leur titre en faisant remarquer que les temps exigent une telle protestation. Ils vont même jusqu'à rappeler la protestation des princes à la diète de Spire en 1529 pour expliquer la tendance de leur journal (6). Dans son ouvrage The Hour of God's Judgment, Carlyle B. Haynes intitule un chapitre : « L'Achèvement de la Réformation » (7). 1l suit la même ligne de pensée que Madame White. La grande lumière de l'Évangile confiée aux Réformateurs a été transmise au petit groupe adventiste en 1844 au travers des Puritains et de John Wesley (8). La mission de porte-flambeau confiée en 1844 aux adventistes est ainsi définie :

... en 1844, le moment était venu pour la proclamation du plein Évangile. Si la prophétie de Daniel 8 s'est accomplie, selon ce que nous croyons, cela signifie qu'à partir de 1844, nous devons chercher un mouvement chargé d'un message qui non seulement poursuivra et complétera l'œuvre de la Réformation, mais qui fera à nouveau connaître aux hommes les vérités que la théologie du Moyen Age avait si souvent obscurcies ou contrefaites. Pour proclamer ce message au monde, il était nécessaire que Dieu suscite un mouvement et un peuple nouveau, séparé des églises établies qui ont refusé de marcher sous les rayons d'une lumière toujours plus éclatante (9).

Les auteurs qui ont critiqué le mouvement adventiste n'ont en général pas tenu compte de cette prétention. On ne peut saisir l'adventisme en profondeur tant qu'on n'a pas compris l'importance de ce facteur. L'un des théologiens les plus respectés parmi les adventistes fut LeRoy Edwin Froom. Il enseigna l'histoire de la théologie à Andrews University dans le Michigan, fut l'auteur d'ouvrages appréciés tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'adventisme (10). Froom s'insurgea contre l'idée que le mouvement adventiste n'était qu'une secte, et il s'efforça d'en démontrer l'orthodoxie. Dans une étude résumant ses quatre volumes de Prophetic Faith of Our Fathers, publiée dans le livre Our Firm Foundation, Froom a essayé de montrer que l'interprétation prophétique adventiste n'innovait pas, mais rétablissait la position historique des Réformateurs. Il écrit :

Dans ces derniers jours, au sein du reste du peuple de Dieu, nous sommes appelés non seulement à reconstruire l'édifice de la Réformation, mais à restaurer en même temps les structures de l'Église primitive, conformément au plan de Dieu. Nous sommes aussi appelés à remettre en valeur certaines vérités laissées de côté par les Réformateurs. Nous devons ainsi de nos jours rassembler les éléments de l'édifice que les ennemis de la Réformation ont dispersés. En plus de cette double tâche, nous avons à compléter l'édifice, poursuivre jusqu'au bout l'œuvre déjà commencée jusqu'à l'achèvement de la construction (11).

Pour Froom, l'adventisme doit...

restaurer les fondations et non établir un nouveau système. Sa mission ne doit pas être isolée des efforts accomplis par ceux qui, autrefois ont participé à l'édification de l'édifice prophétique... nous devons reconstruire sur les fondations et les structures posées par « bien des générations » selon le plan préétabli par Dieu. C'est là la mission impérieuse confiée au mouvement adventiste (12).

Les adventistes se croient d'une manière particulière les héritiers de la Réformation, c'est ce qui fait dire à Froom : « Les projecteurs d'un monde désireux de connaître la lumière seront bientôt orientés vers nous... Il nous sera demandé davantage qu'à nos pères et à nos ancêtres spirituels des générations passées » (13). Ce n'est pas un hasard si Froom conclut avec ces paroles attribuées à Martin Luther : « Sans tenir compte de ceux qui nous entourent, nous voici ! Que Dieu nous aide ! Nous ne pouvons faire autrement » (14). Il ne nous paraît pas nécessaire de multiplier les citations qui témoignent de cette conviction profonde des adventistes (15). Nous conclurons avec quelques phrases que nous empruntons au professeur H.K. LaRondelle de l'Université Andrews (16). Dans son cours sur la justification et la sanctification donné en automne 1966, LaRondelle résume la position adventiste :

On peut dire avec LeRoy E. Froom que le mouvement adventiste après 1844 est la seconde grande Réformation qui poursuit et complète l'œuvre du XVIe siècle. La seconde Réformation n'est donc pas une rétractation de la première, bien au contraire elle en est l'aboutissement, la confirmation et la perfection ! Si la première Réformation a rétabli l'Évangile, le salut par la foi seule, la seconde Réformation rétablit la loi de Dieu, la sanctification par la foi et par l'obéissance (17).

L'adventisme et l'Évangile de la Réformation

Nous avons vu comment l'adventisme s'estime héritier privilégié de la Réformation, cependant une question surgit naturellement à notre esprit : A quel aspect particulier de la Réformation les adventistes prétendent-ils se rattacher ? Car ils ne sont certainement pas les seuls à se reconnaître pour une raison ou une autre, fils spirituels de la Réforme. L'adventisme n'a pas retenu toutes les idées des Réformateurs, en ce qui concerne par exemple le baptême ou l'administration de l'Église, ils n'ont pas suivi leurs traces ; ils ne partagent pas non plus la conception luthérienne de la Cène. Quel est donc l'héritage que les adventistes prétendent avoir reçu des Réformateurs ? Pour répondre à cette question, il faut en poser une autre : Quelle est la raison d'être du mouvement adventiste ? Qu'est-ce qu'il désire apporter au monde ? En quoi consiste son message particulier ? La réponse est à la fois simple et claire : l'Évangile !

Cette réponse est trompeuse par sa simplicité. En d'autres termes, l'adventisme veut offrir au monde la doctrine de la « justification par la foi » ou « le message du troisième ange » (18). Quel que soit le vocabulaire qu'il emploie, l'adventiste croit que Dieu lui a confié comme mission spéciale, de poursuivre et d'achever la redécouverte de l'Évangile commencée avec ferveur par les Réformateurs. Le mouvement adventiste est conduit par Dieu affirment les adventistes, sa mission atteindra son apogée au moment du « grand cri » (Ap. 14:7,9 ; 18:1,2), c'est-à-dire de la proclamation finale de l'Évangile par la plénitude du Saint-Esprit, la pluie de l'arrière-saison. Chaque habitant de la terre se trouvera alors devant un choix inéluctable : accepter ou rejeter le Christ. A l'issue de cette épreuve décisive, le Seigneur reviendra. Quelle que soit la valeur exégétique de cette interprétation de l'Apocalypse, ce qui frappe surtout, c'est le caractère presque ahurissant de cette prétention.

Ainsi les adventistes croient être l'Église finale, le seul « reste » suscité spécialement par Dieu pour proclamer le message de l'Évangile, et préparer ainsi le retour du Christ. Nous, théologiens évangéliques, n'avons pour ainsi dire jamais considéré cet aspect fondamental de l'adventisme, nous n'avons jamais vu ce mouvement comme soucieux de proclamer l'Évangile, nous nous sommes en général contentés de le décrire comme une secte qui accorde une grande importance à ce qui est secondaire. Nous devrions nous excuser auprès des adventistes pour cette vision si éloignée de la réalité ; il nous faut une fois pour toutes reconnaître que toute approche de l'adventisme qui ne tient pas compte de son intérêt pour l'Évangile n'est pas valable.

Les écrits adventistes indubitablement, justifient l'existence de leur mouvement par cette étonnante prétention. Selon Madame White : « Le message de la justice du Christ doit retentir d'un bout à l'autre de la terre pour préparer la voie du Seigneur et pour révéler la gloire de Dieu. Alors l'œuvre du troisième ange prendra fin » (19). S'adressant à ses coreligionnaires, elle dit : « Nous devons prêcher la valeur efficace du sang du Christ par lequel les péchés ont été pardonnés, ce n'est qu'ainsi que nous pourrons atteindre les élites » (20). « Le message du troisième ange » (c'est-à-dire le message de la justification par la foi) (21), c'est selon elle, ce que les adventistes doivent proclamer :

Quand le message du troisième ange est annoncé tel qu'il le devrait, alors la puissance de Dieu soutient sa proclamation, et son influence se maintient ; sans la puissance divine, c'est une impossibilité... Le sacrifice du Christ est suffisant, son offrande est complète et efficace ; les efforts humains sans les mérites du Christ sont inopérants (22).

Certaines déclarations de Madame White sur ce qu'elle considère comme le cœur même de la prédication adventiste sont remarquables :

Les prédicateurs doivent faire connaître le Christ dans sa plénitude à la fois dans les églises et dans les contrées nouvellement évangélisées... C'est le but bien arrêté de Satan d'empêcher les âmes de croire que le Christ est leur seul espoir... (23). De tous les chrétiens, les adventistes du septième jour devraient être les premiers à prêcher le Christ au monde... le grand centre d'attraction, le Christ Jésus, ne doit pas être oublié (24). Le message de l'Évangile de Sa grâce doit être donné à l'Église en un langage non équivoque, de sorte que le monde ne puisse pas dire que les adventistes du septième jour parlent de la loi, mais laissent de côté le Christ (25). Le sacrifice expiatoire du Christ est le grand fait autour duquel gravitent tous les autres... Ce doit être le fondement de toute prédication (26). Que le salut soit le thème de chaque sermon... Ne mettez rien dans votre prédication qui vienne s'ajouter au Christ... (27). Parlez de Jésus, vous qui enseignez le peuple ; parlez-en dans chaque sermon, chaque cantique, chaque prière. De toutes vos forces, amenez les âmes confuses, égarées, perdues, à l'Agneau de Dieu (28).

Dans un langage trop clair pour ne pas être compris, Madame White dit : « La justification par la foi et la justice du Christ sont les thèmes qui doivent être présentés à un monde en péril » (29). Ce thème englobe tous les autres :

Si par la grâce du Christ son peuple devient de nouvelles outres, il les remplira de vin nouveau ; Dieu apportera de nouvelles lumières et les anciennes vérités seront remises en valeur dans le concert de la vérité, et partout où les prédicateurs iront, ils triompheront. Comme ambassadeurs du Christ, ils doivent sonder les Écritures, chercher les vérités ensevelies sous les décombres de l'erreur, chaque rayon de lumière doit être communiqué. Un sujet toutefois doit dominer parce qu'il inclut tous les autres : Christ notre Justice (30).

Dans Messages, Volume 1, Madame White affirme que le message de l'adventisme, c'est la justification par la foi seule :

Quelques-uns de nos frères ont exprimé une crainte : que nous insistions trop sur le sujet de la justification par la foi ; j'espère, et je prie à cet effet, que personne ne s'alarme sans raison, car il n'y a aucun danger à présenter cette doctrine telle qu'elle ressort des Écritures. Si par le passé on n'avait pas été réticent pour instruire convenablement le peuple de Dieu, il ne serait pas nécessaire à présent d'appeler l'attention sur ce sujet... On a trop souvent perdu de vue les plus précieuses et les plus grandes promesses contenues dans les saintes Écritures, or c'est justement là ce que désirait l'ennemi de toute justice. Il a jeté son ombre ténébreuse entre nous et Dieu pour nous empêcher de connaître le vrai caractère de Dieu. Le Seigneur s'est proclamé « miséricordieux, abondant en grâce, patient, plein de bonté et de vérité ». Plusieurs m'ont interrogée par écrit pour savoir si le message de la justification par la foi est vraiment le message du troisième ange ; j'ai répondu : « En vérité c'est le message du troisième ange ». (31).

On pourrait allonger la liste des citations de Madame White (32). Cependant, celles que nous avons sélectionnées nous paraissent suffisantes pour montrer qu'à son point de vue, la mission par excellence de l'adventisme, c'est la proclamation de la justice du Christ avec une puissance et une gloire jamais égalées. Dans son livre Movement of Destiny, Froom confirme le témoignage d'Ellen G. White. Dans un chapitre intitulé « Notre Mission et notre tâche », il écrit :

Prêcher Christ :

1) Toutes les doctrines sont actualisées en Christ, notre mission exige avant tout une prédication et un enseignement centrés sur Christ, et cela à un degré jamais atteint dans l'histoire. Ceci est particulièrement nécessaire au moment où notre message doit atteindre son apogée...
2) L'avant-garde de la prédication de Christ. Nous devons être aujourd'hui dans le monde entier à l'avant-garde de la prédication du Christ dans toute sa plénitude... une multitude répondra. Nous sommes appelés à mettre chaque aspect de notre message en rapport avec la vérité centrale du Christ... de sorte que prêcher la doctrine revienne à prêcher Christ (33).

Dans un paragraphe intitulé « Christ notre Justice, un passeport indispensable », Froom montre avec autant de précision que Madame White ce qu'est véritablement le cœur du dernier message à l'humanité (34).

L'œuvre du Christ, sa vie parfaite d'obéissance à la volonté de Dieu, est le cœur du message tant pour le monde que pour l'église. Froom déclare d'une manière non équivoque que la justice par la foi « dans tout ce qu'elle comprend en constituera le cœur et l'essence ». Il poursuit en disant que l'Évangile éternel est à la fois l'essence et la dynamique du message final de Dieu à l'humanité que l'église doit proclamer (35).

Par ces citations de deux de ses plus éminents avocats, nous avons vu ce que l'adventisme considère comme sa mission spéciale confiée par Dieu. En tenant compte de leur témoignage, on ne peut nier que ce qu'ils prétendent annoncer, c'est l'Évangile. Reste à savoir s'ils l'ont compris. Dans la mesure où l'adventisme aura une juste compréhension de l'Évangile, il justifie à la fois sa prétention et sa raison d'être. En conclusion, nous ferons trois remarques :

1) Si l'on veut juger l'adventisme à partir de ses propres critères, sa position négative bien connue à l'égard de Rome doit être considérée dans cette perspective théologique (36). On a souvent pensé que les adventistes étaient opposés aux abus et excès de Rome, alors qu'en réalité leur attitude leur est dictée par le désir de répondre à leur vocation de remettre en valeur l'Évangile des Réformateurs et d'achever leur œuvre.

2) L'attitude souvent surprenante que les adventistes adoptent envers les protestants répond au même souci. On a pensé que leur conception de la loi les séparait du protestantisme, mais la vraie raison est à chercher ailleurs : Les adventistes croient que d'une manière générale, les protestants ont abandonné l'Évangile des Réformateurs et tout ce qu'il implique, et qu'en conséquence ils sont prêts à toutes sortes de concessions envers la Curie romaine. Se croyant un membre du « reste » fidèle (37), l'adventiste se doit de montrer au monde protestant et en fait à tout le monde, la signification profonde de l'Évangile, et cela pour la plus grande gloire de Dieu. Ceci explique son attitude envers Rome (38) comme envers les protestants.

3) Il y a encore un aspect de l'adventisme sur lequel en général nous ne nous arrêtons pas suffisamment, et par lequel il se dit héritier particulier de la Réformation. Pendant presque quatre-vingt-dix ans, l'église adventiste s'est occupée de l'Évangile d'une manière tout à fait remarquable. Tout au long des années, elle s'est posée la question pour elle inévitable, de savoir pourquoi « le grand cri » tant attendu n'avait pas encore retenti ? Pourquoi le Seigneur n'était-il pas encore revenu ? Certains répondent en rappelant un événement de l'histoire de l'adventisme. Quarante ans environ après la naissance du mouvement, le Seigneur sensibilisa les adventistes à l'Évangile d'une manière exceptionnelle, malheureusement et c'est ce qui est tragique, l'église adventiste a d'une manière générale, rejeté ce don de Dieu. Depuis cette fameuse année 1888, de façon différente et à des degrés divers, elle a contesté sa propre acceptation du message de la justification par la foi. L'année 1888 a vraiment été « une écharde dans la chair » pour l'église adventiste. Pendant près de quatre- vingt-dix ans, elle a lutté pour établir sa relation avec l'Évangile de la Réformation. Aucune évaluation valable de ce mouvement n'est possible si elle ne tient pas compte de ce facteur capital. (voir notre appendice à la fin de ce chapitre, pour un aperçu historique de cette lutte permanente pour comprendre l'Évangile).

S'il est vrai que l'église adventiste se croit appelée par Dieu à accomplir une mission spéciale, elle reconnaît aussi avoir failli jusqu'ici à sa tâche, bien des adventistes se frappent la poitrine en convenant de l'échec de leur église. Les adventistes discutent beaucoup pour savoir si oui ou non, le message de 1888 a finalement été accepté par l'église. Ce qu'il nous faut retenir de cette affaire, c'est que l'adventisme durant quatre-vingt-dix ans de ses cent trente trois années d'existence, a cherché à se situer par rapport à l'Évangile. Ne serait-ce qu'à cause de cela, il vaut la peine de s'interroger sur la valeur de la prétention adventiste de s'inscrire dans la tradition des Réformateurs, une telle réflexion pouvant aussi aider ce mouvement dans sa recherche.


Notes du Chapitre 1



APPENDICE


1888 : UNE ÉCHARDE DANS LA CHAIR


Tout adventiste qui connaît tant soit peu l'histoire de son église, sait que 1888 a été une année de réveil ; deux prédicateurs adventistes, E. J. Waggoner et A. T. Jones, enthousiasmés par la doctrine de la justification par la foi seule, se sont mis à l'annoncer avec beaucoup de zèle à leurs frères.

Ce ne fut pas sans réaction, une réaction dont la nature reste aujourd'hui encore imprécise. il semble que plusieurs dont Madame White (39) acceptèrent le message, la plupart le rejetèrent. Il ne fut plus beaucoup question de ces événements jusqu'en 1924, quand un ancien président de la Conférence Générale des églises adventistes, A. G. Daniells, souleva à nouveau le problème de 1888 et de son accueil par la communauté. Dans un ouvrage intitulé Jésus-Christ Notre Justice, Daniells révéla qu'à son avis, le message avait été rejeté. Voici ce qu'il dit :

Combien il est attristant et profondément regrettable que le message de la justification en Christ ait rencontré de l'opposition de la part d'hommes de Dieu sérieux et bien intentionnés ! Ce message n'a jamais été accepté ni proclamé librement comme il aurait dû l'être pour permettre à l'Église de recevoir les bénédictions sans mesure dont il était porteur. La gravité d'une telle influence est mise en évidence par les reproches qui nous furent adressés. Ces paroles de répréhension auraient dû être considérées avec plus de sérieux (40).

Daniells cite ensuite plusieurs remontrances cinglantes de Madame White à l'encontre de ceux qui, à l'époque auraient rejeté le message (41). Elle ne mâche pas ses mots, elle accuse son église de prêcher la loi « au point de devenir aussi aride que les monts de Guilboa privés de rosée et de pluie ». Ce qui est nécessaire dit-elle encore, c'est de ne pas nous confier « en nos propres mérites, mais seulement en ceux de Jésus de Nazareth » (42).

Il est évident qu'une telle interprétation des faits allait troubler les esprits. Certains laïcs demandèrent des explications. Daniells avait-il raison ? L'Église n'avait-elle vraiment pas accepté l'Évangile à cette époque-là ? Était-ce la raison pour laquelle le « grand cri » n'avait pas encore retenti ? L'Église devait-elle se repentir ou devait- elle réduire au silence ceux qui la calomniaient ainsi ?

Plusieurs auteurs ont pris la défense de l'Église. En 1947, Lewis H. Christian publia The Fruit of Spiritual Gifts. Dans cet ouvrage, il reconnaît que la session de la Conférence Générale de, 1888 fut tendue, mais que l'opposition disparut dans les quelques années qui suivirent et que tous acceptèrent le message de la justification par la foi.

En 1948, Bruno William Steinweg soumit une thèse au Séminaire Théologique Adventiste à Berrien Springs, Michigan ayant pour titre : « Developments in the Teaching of Justification and Righteousness by Faith in the Seventh-Day Adventist Church after 1900 ». Selon lui, l'église n'aurait pas rejeté l'Évangile du Seigneur en 1888, preuve en est le fait que Waggoner et Jones eurent souvent l'occasion de prêcher après cette date ; comment cela aurait-il été possible si leur message avait été rejeté ?

Une autre défense de l'église fut publiée en 1949 par l'historien adventiste A.W. Spalding. Dans son livre, Captains of the Host, il reconnaît qu'une sérieuse confrontation eut lieu en 1888, et que le message ne fut pas toujours accueilli favorablement, cependant 1888 fut en fin de compte une victoire et non une défaite de l'Église.

En 1950, la présentation aux dirigeants de la Conférence Générale de l'église Adventiste du septième jour, par deux missionnaires, R. J. Wieland et D. K. Short, d'un manuscrit intitulé 1888 Re-examined, marqua un tournant important. En des termes non équivoques, Wieland et Short affirmaient que l'Église avait rejeté le message que le Seigneur avait voulu lui donner à Minneapolis en 1888 ; l'Église était coupable, elle devait se frapper la poitrine et implorer le pardon divin, c'est toute la communauté adventiste qui devait se repentir. L'auteur du présent livre a passé quelques temps avec le pasteur Wieland dans sa maison de Chula Vista en Californie ; même après trente ans, cet homme a gardé la même conviction.

Un conflit sans précédent suivit la présentation des thèses de Wieland et Short, un conflit qui durera plus d'une décennie ; les éléments du dialogue furent rassemblés par A. L. Hudson sous le titre, A Warning and Its Reception. On y retrouve le texte de Wieland et Short et des documents prouvant son rejet par l'administration de l'Église. Peu après, en 1962, Norval F. Pease publiait By Faith Alone. Il s'agissait de la vulgarisation d'une thèse que l'auteur soutint à Andrews University pour défendre l'Église. Pease démontrait avec de nombreuses preuves à l'appui que l'Évangile a continué d'être prêché parmi les adventistes après 1888 et jusqu'à nos jours. Mais le pasteur Wieland ne fut pas convaincu car pour lui, prêcher l'Évangile dans toute sa force, comme un « grand cri », c'est bien autre chose que ce qui avait été fait.

L'Église trouva de nouveaux apologistes ; en 1966, A. V. Olson publia Through Crisis to Victory 1888-1901, le titre est significatif. C'est vrai dit-il, qu'il y eut une crise, mais dès 1901 l'Église en était sortie victorieuse. Olson conclut son ouvrage en disant que partout où il s'est rendu, il a trouvé les adventistes convaincus de la doctrine de la justification par la foi, doctrine que non seulement ils avaient acceptée, mais qui avait une grande valeur à leurs yeux. Ceux qui suggéraient que l'Église avait rejeté ce message se trompaient.

C'est alors qu'en 1971 parut l'importante recherche de LeRoy Edwin Froom, Movement of Destiny. Ce travail devait définitivement mettre un terme à toute discussion sur le sujet ; dans un style qui lui est propre, il prend la défense de l'Église et combat ceux qui la supposent fautive dans cette affaire. Froom invite à la repentance ceux qui ne partagent pas ses vues ; malgré l'importance et la qualité du travail accompli, Froom ne réussit pas à enterrer le fantôme de 1888. En 1973, lors de leur conseil d'automne, les dirigeants de la Conférence Générale ont pour la première fois depuis A. G. Daniells, reconnu la culpabilité de l'Église sur la question de 1888.

Une question a rejeté dans l'ombre toutes les autres à ce conseil annuel de 1973 : Comment se fait-il que l'expérience et le message qui en 1892 avait été le début du dernier appel au monde n'ont pas eu de suite durable ? (43).

La réponse donnée à cette question dut être un baume pour le pasteur Wieland :

En tant que communauté, l'Église est dans la condition laodicéenne décrite par le Témoin fidèle dans Ap. 3 : 14-19. Le Conseil a ainsi noté trois causes du délai et de l'échec actuel :
- 1) Les dirigeants et les membres n'ont pas accepté comme message personnel l'analyse du Christ et l'appel à Laodicée (Apoc. 3 : 14-22).
- 2) Les dirigeants et les membres ont désobéi aux injonctions divines, dans leur vie personnelle et dans les affaires de l'Église.
- 3) Les dirigeants et les membres n'ont pas achevé l'œuvre qui leur était confiée (44).

S'il est certain qu'une telle déclaration a pu faire du bien à un homme qui pendant plus de vingt ans a invité son Église à la repentance, ce n'était pas encore l'humiliation collective qu'il attendait. Cette attitude des dirigeants pouvait tout de même apaiser l'esprit de ceux qui se frappaient la poitrine.

Mais ce n'est pas encore la fin de l'histoire, les discussions au sujet de la justification par la foi ont atteint un nouveau sommet en mai 1976. Un groupe de dirigeants et de théologiens se sont réunis à Palmdale en Californie pour chercher à définir la justice qui vient de la foi ; Desmond Ford, professeur de théologie systématique à Avondale en Australie, se fit alors remarquer. Une déclaration officielle (dite déclaration de Palmdale) proposa une définition de la justice qui s'obtient par la foi ; le débat sur 1888 fut à nouveau à l'ordre du jour. Ce qui en a été dit mérite notre attention :

Si nous jetons un regard en arrière sur l'époque de 1888, nous devons reconnaître qu'une telle occasion ne s'est jamais représentée à l'église adventiste. Ce fut pour le peuple de Dieu le «début» de la pluie de l'arrière-saison et du grand cri « dans la révélation de la justice du Christ, le Rédempteur qui pardonne ». Le Seigneur dut retirer sa bénédiction à cause de l'attitude et de l'esprit que manifestèrent plusieurs à cette époque. Il est certainement inutile de discuter pour savoir combien de personnes acceptèrent ou rejetèrent la bénédiction de 1888, cependant il est bien clair que ceux qui l'entendirent furent divisés. Il est certain que la merveilleuse bénédiction que Dieu voulait accorder à l'Église ne fut acceptée pleinement ni à cette époque ni plus tard. A la lumière de ces faits historiques, notre principal souci doit être d'éliminer tout ce qui retient la puissance promise. Par la repentance, la foi, le réveil et la réforme, nous devons préparer le chemin pour que le Seigneur puisse accomplir son œuvre spéciale pour nous et par nous. Nous reconnaissons que la plus grande responsabilité repose sur les dirigeants de l'Église (45).

S'il en est ainsi, que penser des accusations portées contre ceux qui affirmaient que l'Église coupable devait se repentir, accusation perpétrée par des textes aussi importants que le livre de Froom, Movement of Destiny ? Dans The Ministry d'août 1976, on peut lire les regrets suivants :

Nous regrettons sincèrement que le livre Movement of Destiny ait demandé une « confession explicite » de la part de ceux qui interprétaient les événements de 1888 d'une manière différente des dirigeants. Nous recommandons l'élimination de ce passage dans les futures éditions de ce livre.

Le drame au sujet de la réponse donnée au message de 1888 n'est pas encore arrivé à son terme, comme beaucoup le souhaiteraient. A l'intérieur comme parmi les marginaux de l'Église, plusieurs ont décidé de poursuivre la lutte jusqu'à ce qu'il y ait repentance collective, et que la vérité de l'Évangile de la justification par la foi seule, jaillisse des lèvres adventistes avec la puissance de « la pluie de l'arrière-saison ». Alors pensent-ils, le Seigneur reviendra, et le message de 1888 ne posera plus problème parce qu'il aura accompli sa mission.


Notes du Chapitre 1 (suite)




2. L'enseignement fondamental de la Réformation

Un des aspects les plus remarquables de la Réformation du seizième siècle, c'est l'unité des Réformateurs sur l'article de la justification par la foi seule. En désaccord sur bien des points doctrinaux, ils sont unis sur leur compréhension de la justification. Dans son ouvrage classique, The Doctrine of Justification, James Buchanan écrit : « Il y a peu de choses dans l'histoire de l'Église de plus remarquable que l'unité des Réformateurs sur le sujet de la justification devant Dieu » (1). Buchanan attribue ce fait « à une abondante effusion du Saint-Esprit, qui tout en convainquant les hommes de péché, illumine leur esprit par la connaissance d'un Sauveur pleinement suffisant » (2). James Orr pour sa part, refuse d'attribuer au hasard cette compréhension simultanée de la justification (3). Voici donc la principale caractéristique de la Réformation : l'unanimité concernant la justification obtenue uniquement par la foi, une unanimité qui témoigne d'« une abondante effusion de l'Esprit ».

Nous venons de voir que les Réformateurs étaient en parfait accord sur la justification. Précisons la nature de cette unité, ils étaient unis sur la signification et sur l'importance de la justification dans la vie et l'enseignement de l'Église.

L'importance de la justification

Considérons d'abord l'importance de la justification dans la pensée des Réformateurs, il nous paraît difficile de l'exprimer mieux que ne l'a fait John Bugenhagen, l'ami de William Tyndale : « Nous n'avons qu'une seule doctrine : Christ est notre Justice » (4). Centre de gravité incontesté de toute la théologie et de toute la vie chrétienne, voilà ce qu'est la justification par la foi pour les Réformateurs !

Pour Luther, la justification est partout présente dans la Bible, c'est « le fondement de notre salut » (5). Selon lui, Christ veut que nous concentrions toute notre attention sur ce point de doctrine capital, notre justification devant Dieu, afin que nous croyions en Lui » (6). C'est le « point cardinal » (7), « le véritable foyer central de la doctrine chrétienne » (8). Bien d'autres citations pourraient montrer que la justification par la foi était pour Luther, sa Catherine de Bora théologique (9).

Pour Calvin, la justification « est le principal article de la religion chrétienne » (10). Certains s'étonnent de ce que dans l'Institution de la Religion Chrétienne, Calvin se soit intéressé à la régénération avant d'aborder la question de la justification. Son but était en réalité de mettre en valeur la justification : « ... ayant droitement connu ce point (régénération), nous pourrons aisément apercevoir comment l'homme est justifié par la foi seule et par la pure acceptation du pardon de ses péchés... » (11). Après avoir exposé le souci de l'église romaine (la régénération), Calvin développe d'une manière irréfutable celui de la Réformation (la justification). Pour lui, ce dogme est le fondement de toute piété authentique et de toute vérité doctrinale.

Voici donc la seconde caractéristique de la Réformation : le rôle central qu'elle attribue à la doctrine de la justification devant Dieu, obtenue uniquement par la foi.

Que signifie justification ?

La réponse que nous donnerons à cette question nous révèlera la troisième caractéristique importante de la Réformation. L'œuvre significative de Luther sur la justification n'est pas son commentaire sur les Romains, mais son analyse de l'épître aux Galates. Quand il écrivit son Commentaire sur les Romains, il était encore un catholique évangélique ; l'auteur du Commentaire sur les Galates, c'est le réformateur protestant (12). Dans cet ouvrage remarquable, il déclare :

Etant donné que nous sommes justifiés par la foi en Christ, il s'ensuit que « ce n'est pas par les œuvres de la loi que toute (qu'aucune) chair sera justifiée »... C'est pourquoi le moine n'est pas justifié par son ordre, ni le prêtre par la messe et par les heures canoniques... (13)

Etre justifié signifie être déclaré juste. Luther affirme :

Or, la question posée ici est la suivante : par quoi sommes-nous justifiés et obtenons-nous la vie éternelle ? Avec Paul nous répondons ici : C'est par la seule foi en Christ que nous sommes déclarés justes, non par les œuvres de la loi et par la charité (14).

Quand Luther dit « par la seule foi en Christ », il ne veut pas dire par Christ en nous, la justice sur la base de laquelle le pécheur est accepté devant Dieu doit être cherchée à l'extérieur du croyant. La justice qui justifie est étrangère au croyant, c'est une justice qui vient du dehors. Luther s'explique clairement :

(un chrétien) est juste et saint d'une sainteté qui lui est étrangère, je l'appelle ainsi pour me faire mieux comprendre. Le chrétien est juste par la grâce et la bonté de Dieu, cette bonté et cette grâce ne sont pas d'origine humaine ; il ne s'agit pas d'une disposition ou d'une qualité du cœur. C'est une bénédiction divine qui nous est donnée par la connaissance de l'Évangile, quand nous apprenons ou croyons que notre péché nous est pardonné par la grâce et les mérites du Christ... Une telle justice ne nous est-elle pas étrangère ? Elle dépend de la bonté d'un autre, et elle est pur don de Dieu, lequel révèle sa miséricorde et sa faveur en vertu de la personne du Christ... Un chrétien n'est donc pas intrinsèquement juste, il ne l'est pas en vertu d'une qualité ou d'une substance qui serait en lui, j'use ces termes pour me faire comprendre. Il est juste parce qu'il est en relation avec quelque chose, il est justifié par une grâce divine qui pardonne gratuitement ses péchés. C'est ce qui se passe pour ceux qui reconnaissent leur péché et croient en la grâce et la miséricorde du Dieu qui délivre (Rom. 4 : 25) ceux qui croient (15).

Pour Luther, être justifié signifie être déclaré juste sur la base d'une justice qui ne se trouve pas dans le croyant, mais en Jésus-Christ. Calvin partage la même conviction : La justification est la déclaration divine selon laquelle le pécheur croyant est juste en vertu des mérites de Jésus-Christ (16). Le pécheur est déclaré juste, mais sur la base des seuls mérites du Christ.

Ces deux fondements de la justification étaient en contradiction avec l'enseignement de l'église de Rome. Plus tard au Concile de Trente, celle-ci fut amenée à préciser que selon elle, la justification ne consiste pas seulement à déclarer quelqu'un juste, mais à le rendre réellement juste : « ... l'unique cause formelle est la justice de Dieu, non pas celle par laquelle il est juste lui-même, mais celle par laquelle il nous rend justes... » (17). Pour Rome, rendre juste signifie que le croyant devient juste en lui-même, alors que les Réformateurs ne reconnaissaient qu'à la justice propre du Christ, le pouvoir de justifier. Rome enseignait que le pécheur recevait un cœur nouveau qui le rendait agréable à Dieu :

... s'ils (les chrétiens) ne renaissaient en Jésus-Christ, jamais ils ne seraient justifiés, puisque c'est par cette renaissance que la grâce qui les justifie (qua justi fiunt : litt. qui les fait ou les rend justes), leur est accordée par le mérite de sa passion (18).

C'est là le cœur du conflit de la Réformation. Pour Rome, être justifié c'est être rendu juste par l'expérience du renouvellement intérieur. Pour les Réformateurs, la justification est la déclaration faite par Dieu selon laquelle le croyant est juste sur la base de l'œuvre du Christ accomplie indépendamment de ce qui se passe en lui.

Nous voulons ajouter une remarque sur le thème de la justification du point de vue des Réformateurs. Pour eux la justification a deux faces : Un côté négatif, c'est l'acquittement du croyant sur la base du sacrifice du Christ. C'est ainsi que la justification est souvent appelée simplement pardon des péchés (19). La malédiction qui nous menaçait ne nous atteint plus car à sa mort, Jésus en fut frappé (20). Cependant la justification a aussi un côté positif : Dieu ne nous voit pas seulement au travers de la mort de Jésus pour nos péchés, Il nous voit aussi comme si nous avions parfaitement obéi aux exigences de la loi, au travers de l'obéissance de Jésus mise à notre compte. Le croyant est pardonné certes, mais il est aussi admis en présence de Dieu, revêtu de la parfaite obéissance du Christ qui se tient à sa droite. En Christ, le croyant a satisfait aux exigences de la loi, en Lui il possède par la foi une vie de parfaite obéissance à la loi (21).

Sola Gratia

Pour bien comprendre ce qu'est la justification, demandons-nous ce que signifie être sauvé uniquement par grâce. Quand les Réformateurs parlaient de la grâce, ils désignaient l'œuvre de Dieu qui dans sa miséricorde et selon sa grande bonté, a envoyé son Fils vivre et mourir en Palestine pour que nous soyons déclarés parfaitement justes devant Lui. Ainsi la grâce désigne l'œuvre de Dieu accomplie dans l'histoire, et non ce qui se passe dans le cœur du croyant. Selon Calvin, la grâce de Dieu « reçoit le pécheur de sa pure et gratuite bonté » (22), c'est une « bonté gratuite » (23), « la miséricorde de notre Père céleste, et la dilection gratuite qu'Il a envers nous » (24).

Paul Tillich remarque que c'est l'idée de grâce chez les Réformateurs qui fut la cause véritable de leur succès au seizième siècle. Tillich affirme que pour Luther, la grâce signifiait être accepté tout en étant inacceptable. Dans sa fameuse « Préface à l'Epître aux Romains » (25), Luther s'explique à ce sujet : « La différence entre une grâce et un don consiste en ceci : La grâce dans le plein sens du terme désigne la faveur de Dieu et sa bonne volonté envers ceux qu'il aime... ». Ce n'est évidemment pas la définition qu'en propose le Concile de Trente ; selon ce concile, la grâce est communiquée aux chrétiens pour qu'ils soient rendus justes (26), elle doit être reçue volontairement (27). A ce sujet, le canon II du Concile de Trente est clair :

Si quelqu'un dit que les hommes sont justifiés, ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés à l'exclusion de toute grâce et charité qui serait répandue dans leurs cœurs par l'Esprit Saint et leur serait inhérente, ou encore que la grâce qui nous justifie est seulement la faveur de Dieu, qu'il soit anathème (28).

Selon Luther et Calvin, la grâce qui sauve, c'est l'action de Dieu en Jésus pour le pêcheur qui croit. L'idée selon laquelle la grâce serait l'aide que Dieu accorde au croyant pour qu'il observe la loi a été combattue par les Réformateurs. Selon eux, cette position catholique romaine tend à ôter quelque chose à l'œuvre glorieuse de Dieu en Christ, de plus elle ne saurait satisfaire les consciences. Non, la grâce qui sauve, c'est l'œuvre de Dieu en Jésus-Christ. Seul Il est la justice par laquelle nous sommes justifiés, et seul Il est l'expression de la grâce du Père.

Solo Christo

Luther et Calvin n'ont pas seulement insisté sur Christ seul en opposition à la justice des œuvres du catholicisme, les Réformateurs ont aussi insisté sur Christ seul en opposition avec tous ceux qui, catholiques ou protestants (29), considèrent que la justice salvatrice réside dans le cœur du croyant. « Christ seul » signifie Christ et rien que Christ, et non le croyant. Cette œuvre n'inclut même pas les autres membres de la Trinité ! Précisons notre pensée : Pour Luther et Calvin, la justice salvatrice ne se trouve qu'en Christ, en la personne du Dieu-homme, et non dans la vie du croyant, même si celle-ci est un effet de la grâce. Aucune justice salvatrice ne peut être trouvée ailleurs qu'en Celui qui seul est à la fois Dieu et homme.

Pour les Réformateurs, « Christ seul » signifiait Jésus-Christ à la fois Dieu et homme, et non pas Christ présent par l'Esprit dans le cœur des croyants. Quelques-uns ont voulu modifier la position des Réformateurs en répétant avec eux les expressions bien connues de « justification par Christ seul » ou « Jésus-Christ est la grâce de Dieu », dans la mesure où pour eux ces expressions désignaient à la fois le Dieu-homme à la droite de Dieu, et Celui qui par l'Esprit habite le cœur du croyant. Passer ainsi du Dieu-homme au Christ en nous, c'est renoncer dans les faits sinon dans la forme, à la justification telle que l'ont enseignée les Réformateurs.

Dans cette optique, le croyant devient le lieu où se réalise la justification, alors que pour les Réformateurs celle-ci a déjà été pleinement accomplie en Jésus-Christ, par sa vie et sa mort en Palestine. Il ne faut pas confondre l'œuvre de Jésus-Christ et celle du Saint-Esprit ; Christ il est vrai, habite le cœur du croyant par l'Esprit, mais le Sauveur c'est le Dieu-homme admis en présence de son Père. Quand toute notre attention est fixée sur ce qui se passe en l'homme, « Christ en nous » devient le fondement de notre justification. S'appuyer ainsi sur l'œuvre en nous de l'Esprit du Christ, c'est compter sur une œuvre inachevée pour nous assurer du salut, au lieu de compter sur l'œuvre achevée et complète du Dieu-homme, Jésus de Nazareth. Une telle théologie suppose que Dieu pourrait se contenter de quelque chose d'imparfait ; même nos consciences attestent que la gloire de Dieu ne saurait se satisfaire d'une justice imparfaite. Selon Buchanan :

Si nous sommes justifiés par l'œuvre de l'Esprit en nous, nous nous appuyons sur une œuvre qui loin d'être achevée et acceptable, n'a même pas commencé pour le pécheur non régénéré, et qui lorsqu'elle a commencé pour le croyant, n'est qu'embryonnaire... souillée par le péché qui demeure en lui... et jamais parfaite dans cette vie (30).

Les ténors de la Réformation ont tous affirmé sans hésitation qu'être justifié par Christ seul, signifiait être déclaré juste uniquement en fonction de la vie et de la mort de Jésus-Christ. Selon Luther :

Un homme qui s'appuie sur Christ avec confiance peut dire : la vie, l'œuvre, les paroles de Jésus, sa souffrance et sa mort sont miennes comme si j'avais vécu, agi, parlé et souffert, comme si j'étais mort sur la croix (31).

C'est cela croire en la substitution de Jésus- Christ, en l'imputation de sa justice et non en son infusion par l'Esprit. Calvin le géant de Genève, rejoint le réformateur allemand quand il dit :

Si l'observation de la loi est tenue pour justice, on ne peut nier que quand Jésus-Christ ayant pris cette charge à soi, nous réconcilie par ce moyen à Dieu son Père comme si nous étions parfaits observateurs de la loi, il ne nous mérite faveur (32).

Le « comme si » est la conséquence inévitable de l'Évangile du salut par substitution et imputation. La justification, c'est l'œuvre accomplie uniquement par Christ hors du croyant, elle ne doit pas être confondue avec l'œuvre de régénération accomplie par l'Esprit (33).

Sola Fide

Ceux pour qui la foi a une valeur méritoire quelconque, n'ont rien compris à l'Évangile des Réformateurs. Pour Luther et Calvin, dire qu'on est sauvé par la foi seule (sola fide), signifie qu'il ne faut rien ajouter à la grâce seule ou à Christ seul ; ce n'est qu'une nouvelle façon d'exprimer la même vérité (34). Christ, qui par sa vie et sa mort a satisfait aux conditions de la justification, rend aussi possible l'appropriation de son œuvre achevée. Il a satisfait aux exigences de la loi divine par sa vie et sa mort en Palestine, et Il en rend l'appropriation possible par l'effusion de son Esprit. La foi n'est que l'instrument et le moyen de mettre en route le processus du salut. La foi n'a pas de valeur en elle-même, elle ne sauve pas en vertu d'une valeur quelconque qu'elle aurait en elle-même, ou qu'aurait celui qui l'exerce. Selon Calvin :

La force de justifier qu'a la foi ne gît point en quelque dignité de l'œuvre, car notre justification consiste en la seule miséricorde de Dieu, et au mérite de Christ. Si la foi est dite justifier, ce n'est que parce qu'elle appréhende la justice qui lui est offerte en Christ (35). Car si nous ne venons à Jésus-Christ vides et affamés, ayant la bouche de l'âme ouverte, nous ne sommes point capables de Lui... Il y a pareille raison que la foi, bien qu'elle n'ait de soi nulle dignité ni valeur, nous justifie en nous offrant Jésus-Christ, et qu'un pot plein d'or enrichisse celui qui l'aura trouvé (36).

En faisant de la foi un « instrument » ou un « récipient vide », les Réformateurs ont tenu à distinguer entre la foi d'une part, et les mérites de Christ saisis par la foi d'autre part. La foi et l'objet de cette foi doivent être bien distingués, pour qu'à Dieu seul revienne la gloire, et pour que la conscience du croyant soit en paix.

La justice de la foi

Avec Paul, les Réformateurs ont parlé de « la justice de (ou par) la foi » en opposition avec la justice qui accompagne ou suit la foi. La justice de la foi, c'est l'acceptation de l'œuvre et de la mort du Dieu-homme, Jésus-Christ. C'est une justice qui est objet de la foi, et non une qualité qui ferait partie de la foi ou qui lui serait associée. Considérer la foi comme un « instrument » ou un « récipient vide », c'est ne pas lui attribuer une valeur justificatrice au sens où seule la justice du Christ justifie ; en clair, la foi ne fait pas partie de la justice du Christ. Les Réformateurs ont précisément parlé de la « justice de la foi » pour qu'elle ne soit pas confondue avec ce qui l'accompagne ou la suit.

Les Réformateurs reconnaissent que la foi en la justice du Christ s'accompagne toujours de la régénération et du renouvellement de la vie du croyant. La foi produit de bonnes œuvres, cependant il est bien clair que la transformation qui accompagne ou suit la foi ne fait en aucune façon partie de la justice du Christ. La justice de la foi ne doit jamais être confondue avec la sanctification, elle ne l'inclut même pas.

Martin Luther a bien insisté sur cette distinction capitale entre justice de la foi et sanctification, car l'église médiévale confondait les deux sortes de justice. Luther appelle la justice de la foi (c'est-à-dire justice du Christ) une justice passive parce que nous n'avons rien à faire pour l'obtenir. Il appelle l'autre justice (celle qui résulte de la foi) une justice active parce qu'elle est manifestée par les bonnes œuvres accomplies par le croyant animé de l'Esprit Saint. La justice passive est parfaite, car elle est justice du Christ ; la justice active est imparfaite parce qu'elle est l'œuvre d'hommes pécheurs. La première est obtenue par la foi seule, la seconde l'est par les œuvres de la foi. La première c'est la justification ; la seconde, la sanctification (37).

Martin Chemnitz exprime la même idée en d'autres termes. Il parle 1) de la justice de Christ imputée au croyant, et 2) de la justice de la loi :

La justice de la loi, c'est ce qu'un homme fait en obéissant à ce qui est écrit dans la loi ; mais la justice de la foi s'obtient en croyant à ce que Jésus a fait pour nous. Ainsi, ce que le chrétien fait avant ou après sa conversion sont des œuvres de la loi, même si elles ne sont pas accomplies dans le même esprit...
...l'obéissance du Christ nous est imputée à justice, c'est un blasphème de confondre cette gloire du Christ avec notre transformation ou notre obéissance (38).
La justice de la foi, c'est croire que Christ, le Médiateur, a satisfait la loi pour nous, pour la justification de quiconque croit (Rom. 10:4) (39).

Selon la Formule de Concorde, l'Esprit produit en nous la justice de la loi, mais celle-ci ne nous justifie pas devant Dieu. Nos œuvres ne peuvent « être considérées ni comme la cause de la justification, ni comme un mérite que Dieu agrée quand Il nous justifie, et qui constitue soit entièrement, soit pour une moitié, soit pour une part minime, le fondement de notre confiance » (40). Il arrive qu'une malédiction soit plus révélatrice qu'une bénédiction, la Formule de Concorde est très claire quand elle dit : « Il faut réprouver et rejeter... l'idée que la justice de la foi devant Dieu se compose de deux parties, la rémission des péchés, et le renouvellement ou la sanctification » (41).

Pour conclure sur la justice de (ou par) la foi, disons que pour les Réformateurs il est indispensable de distinguer entre « la justice de la foi » et la sanctification. Ne pas faire clairement cette distinction, c'est retourner à la synthèse du catholicisme médiéval, et c'est aussi répudier l'enseignement unanime des pères de la Réforme.

Perfectionnisme

Cette distinction entre les deux justices, si chère aux Réformateurs, nous aide à comprendre pourquoi selon eux le croyant n'est justifié dans cette vie que par la foi. En s'exprimant ainsi, ils ne niaient pas la nécessité de la sanctification des vrais croyants, ce qu'ils voulaient dire avant tout, c'est que la sanctification n'est jamais suffisante pour justifier à l'heure du jugement. Le croyant ne peut que compter sur la justice de la foi (celle du Dieu-homme), pour être accepté devant Dieu. Pour les Réformateurs l'œuvre de la sanctification reste toujours imparfaite, c'est pourquoi ils insistaient tant sur la justice de la foi, la vie et la mort du Dieu-homme, Jésus de Nazareth. Bien que le croyant lutte de toutes ses forces contre le mal, en cherchant à garder fidèlement la loi de Dieu, le péché demeurera en lui jusqu'à l'heure de sa mort. Luther l'exprime vigoureusement :

Le bien-aimé apôtre Paul voudrait bien ne pas être dans le péché, et force lui est d'y être : moi et d'autres encore, nous sommes aussi enclins à être volontiers sans péché, mais cela ne sera pas ; nous étouffons assurément à son contact ; nous sommes tombés dans le péché, nous nous relevons, nous nous martyrisons et nous nous rouons de coups avec lui jour et nuit, sans trêve : mais durant que nous sommes fourrés dans cette chair, que nous portons au cou ce sac nauséabond, il n'en sera absolument rien, nous ne pourrons absolument pas amortir cette chose ; nous pouvons bien, assurément, peiner contre elle afin de l'amortir, mais le vieil Adam entend vivre aussi avant de descendre au tombeau. En somme : Le Royaume de Dieu est un royaume singulier, aucun saint ne devra dire ici autrement que : ô Dieu tout-puissant, je confesse que je suis un misérable pécheur, ne compte pas la faute ancienne ! ... Celui qui n'a ou ne sent aucun péché n'est pas un chrétien ; or si tu trouves un homme pareil, c'est un anti-chrétien, pas un vrai chrétien. Donc le Royaume du Christ gît dans le péché, il est fourré dedans, puisqu'il l'a placé dans la maison de David (42).

Ne nous croyons pas plus justes que Paul, Luther et tant d'autres serviteurs de Dieu au travers des siècles ! C'est la théologie de Rome qui laisse supposer une telle chose :

Si quelqu'un nie que par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est conférée par le baptême, l'offense du péché originel soit remise, ou soutient que tout ce qu'il y a proprement et véritablement de péché n'est pas ôté... qu'il soit anathème (43).

Le perfectionnisme caractérise l'Évangile prêché par Rome, tandis que l'imperfection de toutes les bonnes œuvres - souillées par le péché inné - demeure un enseignement essentiel des Réformateurs. Tous ceux qui enseignent la nécessité de la perfection du croyant en cette vie, confirment l'enseignement de Rome et non celui de la Réforme. Calvin n'était pas moins dogmatique que Luther pour reconnaître la présence du péché, même chez celui qui est justifié. Voici ce qu'affirme la Confession de Genève :

Le pardon des péchés est toujours nécessaire, même pour le fidèle.

Enfin nous reconnaissons que cette régénération nous est nécessaire jusqu'à ce que nous quittions ce corps mortel, car il reste toujours en nous bien des imperfections et des infirmités, de sorte que nous restons toujours de pauvres et misérables pécheurs en présence de Dieu. Et s'il est vrai que jour après jour, nous devons croître dans la justice de Dieu, nous n'atteindrons jamais la plénitude et la perfection tant que nous vivrons ici-bas. C'est ainsi que nous avons toujours besoin de la miséricorde divine pour le pardon de nos péchés et de nos fautes. Nous devons sans cesse contempler la justice de Jésus-Christ, et non la nôtre, et en Lui confiants et assurés, nous n'avons pas foi en nos propres œuvres (44).

Peut-être nous interrogerons-nous au sujet de la foi de ces Réformateurs comme s'ils doutaient de la puissance de Dieu, capable de libérer les croyants de leur état de pécheur. Dans son commentaire sur les Galates, Luther montre que le péché qui demeure dans le croyant est positivement utile à son salut :

Les fidèles retirent donc une grande consolation de cet enseignement de Paul : ils savent qu'ils sont chair pour une part, et Esprit pour une (autre) part, mais à telle enseigne que c'est l'Esprit qui a l'empire, et la chair qui est assujettie, que c'est la justice qui règne, et le péché qui sert. Autrement celui qui ignore cela, est dévoré sans reste par un esprit de tristesse, et il désespère. Mais les maux eux-mêmes doivent concourir au bien de celui qui connaît cet enseignement de Paul, et qui en fait bon usage. Car lorsque la chair l'invite à pécher, il est par là- même, incité et poussé à rechercher le pardon des péchés par Jésus-Christ, et à saisir la justice dont il ne ferait pas grand cas sans cela, et après laquelle il ne soupirerait pas si fort. Il nous est donc très profitable de ressentir parfois la malice de notre nature et de notre chair, pour que nous soyons, du moins ainsi, réveillés à la foi, et incités à invoquer Jésus-Christ. Alors le chrétien se trouve être un ouvrier aux puissants moyens, et un admirable créateur qui de la tristesse, peut faire de la joie ; des terreurs, une consolation ; du péché, la justice ; de la mort, la vie ; tandis que réprimant ainsi la chair, il la réduit en esclavage et l'assujettit à l'Esprit. Que ceux donc qui ressentent la convoitise de la chair ne désespèrent pas tout aussitôt de leur salut ; qu'ils la ressentent, soit ! mais pourvu qu'ils n'y consentent pas ; que la colère et les désirs des sens s'animent en eux, soit ! mais qu'ils ne les entrainent pas ; que le péché les sollicite, soit ! mais qu'ils ne l'accomplissent pas. A vrai dire, plus un homme est fidèle, plus aussi il ressent ce combat ; c'est ainsi que s'expliquent ces plaintes des saints que nous trouvons dans les Psaumes et dans toute l'Ecriture. De ce combat, ni les ermites, ni les moines, ni les sophistes, ni aucun des faiseurs (de justice) ne connaissent rien (45).

Ne pensons pas que Luther et Calvin considéraient à la légère les exigences de la loi, tous deux ont enseigné que si le croyant gardait la loi, ce n'était pas en vue d'atteindre la perfection. En conséquence, la Réformation a pu affirmer la justification sur la base de la vie et de la mort de Jésus-Christ, et l'espérance du bonheur éternel fondé sur la justification, et non sur la sanctification.


Notes du Chapitre 2




Partie II.

L'Adventisme et la Réformation avant 1950


Introduction

Nous avons essayé de comprendre l'adventiste tel qu'il se conçoit lui-même, et le portrait qui en résulte est tout à fait différent de beaucoup de descriptions de l'adventisme faites de l'extérieur du mouvement. L'adventisme se considère comme spécialement choisi par Dieu en vue de mener à son terme, selon le dessein de Dieu, la Réforme du XVIe siècle réduite à l'immobilité. Une telle mission implique nécessairement une proclamation de l'Évangile avec la puissance de « la pluie de l'arrière-saison ». Une telle mission est impossible à remplir par toute autre organisation religieuse.

C'est pourquoi en vue de rafraîchir notre mémoire au sujet du sens de l'Évangile prêché par Luther et Calvin, nous sommes allés jusqu'au cœur de la Réformation pour saisir clairement les normes nous permettant de juger dans quelle mesure les adventistes ont rempli leur mission, et concrétisé de façon satisfaisante cette étonnante prétention.

Dans la seconde partie de cet ouvrage, nous allons suivre l'exécution de cette mission depuis le début du mouvement jusqu'en 1950. Comme la période 1950-1977 constitue le principal centre d'intérêt de ce travail, nous n'essayerons pas d'étudier à fond la période précédente. J'ajouterai deux remarques préliminaires :

1) C'est avec sympathie que je désire mener mes recherches, car je crois que c'est de cette façon que je puis être le meilleur critique.
2) Il faut aussi considérer l'adventisme comme un mouvement dynamique, c'est pourquoi notre jugement définitif sera réservé à ce mouvement parvenu à son stade de maturité le plus avancé.


3. Après un départ de mauvais augure : 1844-1888

Il a bien fallu que les fondateurs de l'église adventiste du septième jour fussent dotés de caractères fermes et décidés, car ils étaient les survivants d'un grand naufrage religieux. Le spectaculaire mouvement de réveil de l'Avent des années 1840 (1), parfois appelé le mouvement Millérite, avait échoué sur les récifs du « grand désappointement » à la fin de 1844. Christ n'était pas venu comme on l'avait prédit avec assurance.

Bien que définitivement guéris de la tentation de fixer une date précise pour la fin des temps, ces rares survivants n'abandonnèrent pas l'espérance de la proximité de l'Avent. Ils conservèrent la plupart des éléments du schéma prophétique précis hérité du mouvement Millérite, et y ajoutèrent la croyance en un jugement préliminaire commencé dans le sanctuaire céleste, l'enseignement de la non-immortalité de l'âme, et l'observation du repos du septième jour. Ils croyaient que le doigt de la prophétie les désignait comme le « reste » des derniers jours (Apoc. 12:17), appelé par Dieu à prêcher la dernière invitation de l'Évangile à toute nation et tribu sur la terre, pour préparer le retour du Christ (Apoc. 14:6-14).

Ces premiers adventistes du septième jour étaient comme une armée pitoyablement décimée, la plupart de leurs compagnons et tous leurs chefs étaient tombés (2), aucune personnalité religieuse ne leur avait fait l'honneur de se joindre à eux. Pour les guider, ils n'avaient aucun homme d'église doté d'un riche passé religieux, ils ne possédaient aucune connaissance sérieuse de la théologie. La plupart d'entre eux étaient assez pauvres, et ils étaient déjà séparés du grand courant de l'église chrétienne ; personne tout bien considéré, ne leur aurait accordé beaucoup de chance de succès, particulièrement après un départ en apparence désastreux. N'était-ce l'influence charismatique de la jeune Ellen White, ils auraient pu déclarer forfait, mais elle contribua à inspirer à ces survivants un sens étonnant de leur mission mondiale pour l'avenir.

Posons la question sans détour : Comment les adventistes du septième jour ont-ils rempli leur mission et enseigné le « message du troisième ange » durant la période 1844-1888 ? Peut-être vaut-il mieux laisser les adventistes répondre eux-mêmes à la question, car de toute façon je ne suis pas le premier à étudier cette période. Un adventiste a résumé cette période, c'est Norval Pease. Dans sa thèse de maîtrise à Andrews University en 1945 (3), il a étudié la position de l'église adventiste avant 1888, au sujet de la doctrine de la justification par la foi ; il a conclu que cette doctrine était presque complètement absente. Il écrit : « Les rapports concernant cette période de quatre décennies n'abondent pas, et les cas où il est fait état de cette doctrine particulière sont relativement peu nombreux » (4). Il poursuit en citant une déclaration de Madame White qui montre que pendant quarante-cinq ans, elle et son mari ont été seuls à enseigner cette doctrine (5). Les livres et journaux adventistes de cette période confirment cette déclaration de Madame White, car « ils révèlent une véritable pénurie en ce domaine » (6). Du 15 août au 19 décembre 1854, la première page de la Review and Herald affichait la liste des « doctrines essentielles enseignées par la Review », et cette liste « ne faisait absolument pas mention de la justification, de la justice de Christ, ou de sujets du même genre » (7). Pease met fin à ses recherches infructueuses pour observer :

Aussi loin qu'on puisse remonter, la ligne générale des quatre décennies qui prennent fin en 1888 est claire. Jusqu'au milieu de la décennie 1880-1890, le sujet de la justification et de la justice par la foi était pratiquement absent des journaux et livres adventistes, si ce n'est quelques mentions exceptionnelles de James White » (8).

Pease rapporte que Madame White dans une réunion en plein air à Rome (New York) le 17 juin 1889, s'est livrée à ce commentaire approprié en déclarant à cette occasion :

« On m'a demandé, que pensez-vous de cette lumière présentée par ces hommes ( A.T. Jones et E.J. Waggoner ) ? Mais je vous ai présenté cette lumière depuis quarante-cinq ans : les qualités incomparables du Christ, c'est ce que j'ai essayé d'exposer devant vous. Quand frère Waggonër a exposé ces idées à Minnéapolis, c'était le premier enseignement clair sur ce sujet que j'entendais exprimer par des lèvres humaines, à l'exception des conversations entre mon mari et moi » (9).

Le jugement de ce pasteur et historien adventiste ne peut être mis en doute. Au cours de la période 1844-1888, les adventistes ont commis l'erreur d'ignorer presque totalement l'article fondamental de la Réformation. A l'exception de quelques brefs commentaires de J. H. Waggoner, la position quasi générale était que la justice acceptable par Dieu réside dans une obéissance à la loi avec l'aide du Saint-Esprit. C'était une position essentiellement semi-pélagienne de la justice par la foi (l'acceptation par Dieu est le résultat de la coopération entre les efforts humain et divin). En d'autres termes, la justification sur la base de la justice du Christ imputée, était subordonnée à la sanctification du croyant obtenue par un changement intérieur. Il n'y eut aucun progrès dans le sens de la position réformée jusqu'aux événements de 1888, sous l'influence de A. T. Jones et E. J. Waggoner.

Nous allons maintenant tenter de soutenir cette thèse en faisant appel à la littérature de cette période, qui révèle à quel point la justification était réduite à une place subordonnée à la manière catholique romaine, par ceux qui au cours des quatre premières décennies enseignaient dans l'adventisme. Quatre caractéristiques essentielles se dégagent de l'approche de l'Évangile par les adventistes du septième jour. En voici les conclusions :

1) La justification était subordonnée à la sanctification en ce sens que la justification ne s'appliquait qu'aux péchés du passé. J. H. Waggoner (10), James White (11), et Uriah Smith (12), expliquaient tous la signification de l'œuvre du Christ comme étant destinée aux péchés du passé uniquement. Cette relégation de la justice du Christ au passé provient de ce que dans les quatre premières décennies, l'enseignement adventiste de l'Évangile de la Réforme ne laissait presque aucune place à l'obéissance active (la vie) de Jésus-Christ, on mettait toujours l'accent sur la mort du Christ pour nos péchés (13). Lorsqu'on parlait de la vie du Christ, c'était simplement comme d'une vie exemplaire (14).

2) On n'accorde à la justification que le rôle de simple justification, cela n'est pas exprimé de cette manière, cela résulte plutôt d'une tendance générale qui ressort des prises de position de cette période : On insiste lourdement sur la loi, et on s'arrête beaucoup moins sur l'Évangile. Prenons un exemple flagrant : un livre publié par Roswell F. Cottrel sous le titre The Bible class : lessons upon the law of God and the faith of Jesus. Dans le titre, les mots « Loi de Dieu » apparaissent en gros caractères, tandis que les mots « Foi de Jésus » sont en beaucoup plus petits caractères. On pourrait excuser cela comme une bévue du typographe, toutefois le livre lui-même consacre les 59 premières pages à une discussion sur la loi, et ensuite seulement 10 pages à la foi de Jésus, à l'Évangile ; la vie de Jésus n'est présentée que comme un exemple à suivre. Plus tard Cottrel s'opposa au message de 1888 (15).

Parce que la préoccupation dominante des adventistes de cette période était la préparation pour le retour du Christ, et en particulier la nécessité d'acquérir une justice suffisante pour subsister au « temps de détresse », ils insistaient tellement sur cet impératif que l'indicatif en était amoindri. Ainsi leur religion devenait hagiocentrique (centrée sur leur sainteté personnelle et non sur Christ).

3) A la lumière de ce qui vient d'être dit, il est aisé de comprendre cette insistance constante jusqu'en 1888, à savoir que l'on est accepté au jugement dernier sur la base de la sanctification personnelle (et en particulier de la grâce intérieure).

J. H. Waggoner affirme cela avec force dans son livre, La justification par la foi. Il combattait l'antinomisme et le calvinisme ; pour lui le jugement sur la base des œuvres portait un coup mortel à la fois à l'antinomisme et à la doctrine calviniste de la « sécurité éternelle » (prédestination). Il considérait le jugement selon les oeuvres comme le complément nécessaire à la justification par la foi.

Pour Uriah Smith, Christ pardonne le passé et procure la grâce et la force qui nous rendent capables d'obéir à l'avenir, et d'obtenir ainsi l'acceptation devant Dieu (16).

Selon les auteurs de cette époque, la régénération intérieure peut-être considérée comme étant soit la justice du Christ, soit la justice de (ou par) la foi. C'est la justice du Christ parce que c'est son œuvre dans le cœur, et c'est la justice de la foi parce qu'elle tire sa source (elle résulte) de la foi (17).

Dans la théologie adventiste de l'alliance, des premières années, l'œuvre du Médiateur dans la nouvelle alliance est minimisée en vue d'obtenir une sanctification acceptable pour le jugement (18). La faiblesse de l'ancienne alliance ne réside pas dans les conditions posées au peuple ni dans la promesse du peuple de remplir ces conditions, mais dans l'incapacité et la défaillance du peuple à observer la loi. C'est pourquoi de nouvelles dispositions étaient nécessaires - Dieu donne sa grâce - la loi est gravée dans le cœur par la régénération, et cela rend le croyant apte à observer la loi de manière acceptable pour subsister lors du jugement de Dieu (19). Ainsi l'individu libéré du péché par sa foi en Jésus, va entrer dans la cité de Dieu en qualité d'observateur de la loi (20). La justification par la loi, explique G.I. Butler, consiste ainsi à espérer trouver la paix avec Dieu par ses propres œuvres, sans reconnaître que c'est l'Esprit qui fait les œuvres en nous, et nous rend aptes à accomplir ce qui nous était impossible sous l'ancienne dispensation : observer la loi. Même maintenant le croyant ne pourrait le faire avec ses propres forces (21). Cet enseignement est étonnamment conforme à la théologie du Concile de Trente, cela n'échappera à personne (22).

4) Un autre élément essentiel des positions du Concile de Trente est le perfectionnisme. Le perfectionnisme régnait implicitement au cours de cette période, mais il devint explicite dans les deux périodes suivantes qui nous restent à étudier. Peut-être ce laps de temps était-il nécessaire pour que la logique de cette position théologique apparaisse au grand jour, cependant ce perfectionnisme commençait déjà à faire surface même au cours des premières décennies du mouvement. Bien que James et Ellen White eussent à l'occasion repris les tenants du perfectionnisme, du « holiness movement » (23), James White ne se privait pas de faire des déclarations qui sentaient décidément le perfectionnisme (24). Sa conception du jugement déjà commencé (en 1844) l'amena à celle du temps de détresse. C'est avant le retour du Christ, une période pendant laquelle les hommes devraient vivre sans Médiateur. En conséquence pour le croyant, subsister pendant ce « temps de détresse » exigerait une vie autrement plus sainte que celle du chrétien qui meurt dans le Seigneur (25).

Il apparaît clairement que Madame White ne partageait pas la même conception que son mari à propos de quelques aspects importants de la religion. LeRoy Edwin Froom a fourni une illustration graphique montrant que James White insistait essentiellement sur la loi, tandis qu'Ellen White insistait sur l'Évangile (26). De plus, James White établissait une distinction entre la préparation pour la mort et la préparation pour être transmué sans passer par la mort. Mais Ellen White affirmait que la même préparation suffisante pour la mort l'est aussi pour être transmué, car de même qu'il n'y a pas de transformation du caractère au retour du Christ, de même il n'y en a pas à la mort ou à la résurrection (27). Un certain désaccord règne à propos de la position de Madame White concernant le perfectionnisme ; personnellement, je ne pense pas qu'on doive nécessairement constater un perfectionnisme dans son œuvre (28).

Si je comprends bien Madame White, il faut convenir que sa tendance évangélique constitue le signe le plus encourageant jusqu'à la conférence générale de 1888 ; cela ressort clairement de ses écrits : Dans la période précédant 1888, elle prit de plus en plus clairement conscience que tout n'allait pas pour le mieux dans l'église du reste (29). Selon Madame White, en raison de toute l'importance donnée à la loi aux dépens de l'Évangile, l'église du reste demeurait prise au piège d'un légalisme desséchant :

« Il y a longtemps que nous désirons et cherchons à obtenir ces bénédictions, mais nous ne les avons pas reçues parce que nous avons cultivé l'idée que nous devions faire quelque chose pour nous rendre dignes de les recevoir. Nous n'avons pas porté nos regards au-delà de nous- mêmes, en ayant la foi que Jésus est un Sauveur vivant » (30).

La communauté du reste était prête pour un avenir meilleur.


Notes du Chapitre 3




4. Une tentative de percée : 1888-1950

Nous venons de constater que la période 1844-1888 en ce qui concerne la doctrine de la justification par la foi, fut au sein de l'adventisme une période de restriction et de disette spirituelles. Mais ce n'est pas tout, certaines des vérités fondamentales du christianisme souffrent de la même disette que la justification. Quand on lit la littérature de l'époque, on n'est jamais tout à fait sûr que la petite communauté du reste va s'en sortir, et devenir ou non vraiment chrétienne !

L'évolution historique aurait pu en réalité s'avérer impitoyable si de façon tout à fait inopinée, ne s'était présenté le réveil de 1888. Lors de la session de la Conférence Générale de 1888 à Minneapolis, la doctrine de la justification par la foi frappe de plein fouet l'église adventiste avec une violence imprévue, c'était comme si la seule raison d'être de ce peuple desséché le rappelait à la vie et à une vision renouvelée. E. J. Waggoner et A. T. Jones furent les propagateurs de cette doctrine, et Madame White elle-même les soutint avec force.

Le message de 1888

Lors de la réunion de la Conférence Générale de 1888, E. J. Waggoner fit des exposés sur la loi et l'Évangile (1), démontrant que le message central de l'épître aux Galates était la justification par la foi, et que la loi dans l'épître aux Galates était la loi morale. Les études se poursuivirent jusqu'au jeudi 25 octobre (2).

Du 17 au 25 octobre, alors que Waggoner présentait ses études, Madame White prononça six méditations matinales pour inviter ses auditeurs à s'unir à Christ (3). Les exposés insistèrent beaucoup sur l'importance de la justification par la foi seule, insistance presque entièrement absente avant les années 80(4). Elle parla de la vérité de la justification par la foi comme ayant été libérée de la « compagnie de l'erreur », et placée dans son vrai contexte - désignant par là l'insistance adventiste sur la loi et l'Évangile. Le matin qui précédait la fin de la série des exposés de Waggoner, le ton des causeries de Madame White changea. Elle déclara : « Je n'ai jamais été aussi inquiète qu'en ce moment » (5). La cause d'une telle inquiétude résidait dans l'indifférence et l'opposition face au message de la justification par la foi donné à l'assemblée de Minneapolis, certains ne supportaient plus Waggoner (6). Toutefois Madame White confirmait l'enseignement du Dr Waggoner sur la justification par la foi seule :

« Je découvre la beauté de la vérité dans la présentation de la justice de Christ, en rapport avec la loi comme le docteur nous l'a présentée... Ce qui a été exposé est en parfaite harmonie avec la lumière qu'il a plu à Dieu de me confier pendant toutes les années de mon expérience. Si nos frères dans le ministère acceptaient la doctrine qui nous a été présentée si clairement, la justice de Christ en relation avec la loi, et je sais qu'ils en ont besoin, la force de leurs préjugés ne l'emporterait plus, et le peuple aurait en temps voulu sa part de nourriture » (7).

Du fait qu'aucun rapport officiel des messages de E. J. Waggoner lors de cette assemblée n'a été conservé, il reste un doute sur ce qu'il a réellement présenté. L. E. Froom affirme que le livre de 96 pages écrit par Waggoner Christ and His Righteousness, est le reflet des messages donnés à cette période. Mais ce livre ne mentionne pas la véritable pomme de discorde : la loi dans l'épître aux Galates, et son lien avec l'Évangile. Dans un ouvrage sur E. J. Waggoner (8), David Mc Mahon est probablement plus près de la vérité lorsqu'il avance que la publication de Waggoner antérieure à 1888 sur l'Évangile dans l'épître aux Galates, est plus proche de ce qu'il a en réalité exposé lors de la Conférence Générale.

Froom déclare que les positions de Waggoner sont exprimées essentiellement dans ses trois livres : Christ and His Righteousness, The Gospel in Creation et The Glad Tidings. Toutefois l'affirmation de Froom qu'il existe « une uniformité et une continuité d'enseignement tout au long des trois livres » (9), est remise en question à la lumière des recherches récentes. Au cours des années 1890, Waggoner évolua vers le panthéisme et les conséquences s'en font sentir dans The Gospel in Creation (1894) et dans The Glad Tidings (1900).

La grande lumière de 1888 a démontré qu'aucune obéissance simplement humaine, quelle que soit son importance, ne peut satisfaire les exigences de la loi divine. Donc, seul Celui qui est à la fois Dieu et homme peut satisfaire en notre faveur aux exigences de la loi, sa justice peut être acquise simplement par la foi. Cette justice n'est pas offerte que pour le passé, mais pour le présent et le futur également. Certainement il y avait là un nouvel accent au sein de l'adventisme. A. T. Jones l'exprime comme suit :

... certains l'acceptèrent (le message de Minneapolis en 1888) tel qu'il fut proclamé, et se réjouirent en apprenant que Dieu dispose d'une justice suffisante pour affronter le jugement, et être accepté à ses yeux, une justice infiniment meilleure que tout ce qu'on pourrait fabriquer avec des années et des années de dur labeur. Les fidèles s'étaient quasiment exténués pour tenter de fabriquer une justice d'un niveau suffisant pour subsister pendant le temps de détresse, et au retour du Seigneur aller à sa rencontre en paix, mais ils n'y étaient pas parvenus. Ils se réjouirent tellement de découvrir que Dieu avait tissé une robe de justice, et l'offrait comme un don gratuit à tous ceux qui voulaient s'en revêtir, et qui voulaient répondre à son offre aussi bien maintenant qu'au temps des plaies, qu'au temps du jugement et pour l'éternité, qu'ils acceptèrent avec joie le message tel que Dieu le donnait, et en remercièrent de tout leur cœur le Seigneur (10).

L'idée que le croyant n'a aucune part dans Ia confection de la robe de justice, mais doit se borner à l'accepter uniquement, allait à l'encontre du semi-pélagianisme du moment, et ne pouvait vraiment manquer de provoquer une réaction. Toutefois bien que ce fût un progrès, Jones et Waggoner en 1888 considéraient encore la justification, au moins pour une part, comme une œuvre de transformation subjective ; ils voyaient la justification rendre le pécheur juste (11). Ils ne distinguaient pas clairement entre justice imputée et justice impartie (12).

Comme nous l'avons déjà vu, la grande lumière de 1888 démontrait que Christ était notre Substitut pour la sainteté de vie. Mais Jones et Waggoner ne distinguèrent pas clairement le sens profond donné par Paul et par la Réformation à cette justice qui justifie, tout en demeurant à l'extérieur du croyant. La porte restait ouverte pour considérer cette substitution en termes d'ontologie et de morale plutôt qu'en termes légaux et juridiques ; Waggoner et Jones s'égarèrent bientôt. Déjà en 1891, Waggoner était parvenu à la conclusion que ce qui se passe au ciel n'a pas d'influence du tout sur le problème du péché, ce qui compte c'est ce qui se passe dans la personne du pécheur (13). Waggoner poursuivit la logique de ses conceptions jusqu'à aboutir au panthéisme (14).

Le problème du renouveau de 1888 est double. En premier lieu, bien que Waggoner et Jones aient fait un pas en direction de la Réformation en insistant sur la nécessité de la vie et de la mort de l'homme-Dieu pour subsister au jugement, ils manquèrent de la lucidité nécessaire pour discerner intégralement la perspective réformée du Christ seul. En second lieu, le message rencontra plus d'opposition que d'écho favorable, cela veut dire que Waggoner et Jones furent privés d'une recherche collective de la vérité, recherche qui aurait pu les préserver du panthéisme, et mettre fermement sur la voie de l'Évangile de la Réformation la communauté adventiste. Nous pouvons résumer l'ensemble de cette période en général, et la période de 1888 en particulier, avec les phrases suivantes de Madame White :

... la justification par la foi... est le message du troisième ange en vérité... jusqu'ici nous n'avons certainement pas contemplé la lumière qui correspond à cette description » (15).
« Nous n'avons que des lueurs émanant des rayons de la lumière qui doit encore nous parvenir. Nous ne tirons pas parti au maximum de la lumière que nous avons déjà reçue de Dieu, et ainsi nous ne réussissons pas à obtenir une plus grande lumière ; nous ne marchons pas dans la lumière déjà répandue sur nous » (16).

Les lendemains de la crise de 1888

En dépit de l'opposition à la justification par la foi lors de la Conférence Générale de Minneapolis, Waggoner, Jones et Madame White, voyagèrent à travers le pays après 1888 pour prêcher sur le thème de la justice du Christ. Madame White ne ménagea pas ses vigoureux reproches aux dirigeants pour leur opposition (17), même après son départ en Australie en 1891 (18). Certains se repentirent de leur opposition, d'autres persistèrent.

La période qui s'étend de 1901 au début des années 1920 (lorsque l'église fut réorganisée en vue d'une plus grande efficacité de l'œuvre missionnaire), fut le temps de l'organisation et de l'extension de l'œuvre (19). Cette organisation fut en grande partie le résultat de la crise panthéiste par laquelle passa l'église adventiste au cours des premières années de ce siècle. Le brillant Docteur Kellog, avec l'assistance de A.T. Jones et E.J. Waggoner, chercha à faire accepter par l'église la conception extrémiste de l'habitation de Christ dans son « temple », une vue qui aboutissait au panthéisme. La grande préparation pour le jour du Seigneur devint la purification du temple du cœur humain, approche qui conduisit à l'extrême la notion de l'intériorisation de la justification que Wagoner avait adoptée après 1888.

Un Adventiste, Robert Haddock, a précisé qu'après la crise de 1905 l'Église est retournée à la position conservatrice antérieure à 1888 (20). C'est probablement une évaluation exacte de la période 1888-1950 dans son ensemble, et c'est un fait reconnu par les « apologies » de l'Église au sujet de sa réponse au message de 1888. Néanmoins le réveil de 1888 concernant tout le problème de la justice par la foi a profondément troublé la conscience adventiste depuis lors.

Froom a considéré le conflit de 1888 principalement comme un conflit entre les « points distinctifs » de l'adventisme et les vérités éternelles de l'église chrétienne. Dans sa période initiale (1844-1888), l'adventisme a dans une certaine mesure récapitulé l'histoire de l'église chrétienne. Coupés du grand courant chrétien, les adventistes de cette époque étaient indécis en ce qui concerne certaines des grandes vérités chrétiennes, essentiellement la Trinité, la divinité du Christ, la nature humaine sans péché du Christ (21), et son œuvre d'expiation achevée à la Croix. Froom considère 1888 comme un grand pas en avant dans la mesure où il conduit l'adventisme à régler entièrement les questions de la doctrine de la Trinité et de la pleine divinité du Christ. Cependant il admet que le réveil n'a pas achevé le rétablissement de ce qu'il a appelé « les vérités éternelles ». On peut penser qu'il avait le sentiment de contribuer personnellement au règlement des problèmes concernant la nature humaine du Christ et de son œuvre d'expiation achevée à la Croix, au sein de l'adventisme. Toutefois la discussion sur ces questions n'eut pas lieu avant les années 1950, c'est pourquoi nous devons renvoyer l'examen de ce problème plus loin.

Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi après la crise panthéiste de 1905, l'Église s'est repliée sur elle-même, tout spécialement lorsqu'on considère que ceux-là mêmes qui ont tenté d'innover en 1888 se sont trouvés être les promoteurs de l'hérésie panthéiste. Il faudra attendre la seconde moitié de notre siècle pour progresser encore, car les faits démontrent que la communauté adventiste n'a plus réalisé de progrès sensible en théologie jusqu'aux années 1950. De 1905 aux années 1920, W. W. Prescott seul fit preuve d'un esprit créatif dans le domaine de l'Évangile. Et à l'exception de quelques points lumineux çà et là, il ne put entraîner le mouvement vers des pâturages théologiques plus verdoyants. Comme nous le verrons, il y eut une tentative de revivifier l'adventisme par le moyen du mouvement de sainteté (Holiness Movement). Mais cela fut plutôt un frein qu'un progrès dans le sens de la réalisation du but recherché par l'adventisme, à savoir la poursuite de l'œuvre de la réforme protestante.

La justification jusqu'en 1950

Au cours de la période 1888-1950, les adventistes n'étaient pas unanimement d'accord sur la définition de la justification. Certains par exemple, définissaient la justification dans le sens catholique romain de rendre juste (22). Dans une brochure publiée vers le milieu de la décennie 1890, E. J. Waggoner semble avoir admis cette définition indiscutablement romaine (23), et en dépit de l'opposition qu'il rencontra du fait de sa position catholique romaine (24), il s'en tint à cette conception de la justification. De plus cette tendance de Waggoner à intérioriser la justification, s'accentua comme on peut le constater d'après les ouvrages que nous avons déjà cités (25).

Il est difficile de comprendre comment Froom a pu donner son aval à ces écrits de Waggoner (26) ; Froom a affirmé que Waggoner a toujours été correct sur le sujet de la justification par la foi. Ou bien Froom a voulu « blanchir la réputation » de Waggoner, ou bien lui-même était incapable de distinguer entre les positions catholiques romaines et protestantes, sur la signification de la justification (27).

D'autres hommes adoptèrent la position anti- protestante qui veut que justifier ait le sens de rendre juste, parmi eux H. A. St. John (28), Charles T. Everson (29), A. G. Daniells (30), A. W. Spalding (31) et Bruno Steinweg (32). La tendance générale au sein de l'adventisme cependant, est restée la conception vraiment protestante du sens de la justification (33). W. H. Branson (34), Norval Pease (35), ainsi qu'une quantité d'autres auteurs, s'accordent pour affirmer que le sens de justifier est de déclarer juste. Sur ce point à part les exceptions, le mouvement a suivi Luther et Calvin.

Nous avons vu que chez les Réformateurs, la justification occupe la place d'article principal autour duquel tous les autres articles s'ordonnent, ou selon les propres termes de Calvin, « l'axe autour duquel toute vraie religion gravite ». Nous avons vu également que dans la période 1844-1888, cette caractéristique essentielle de la théologie de la Réformation n'a pas été en honneur. Qu'en est-il de la période 1888-1950 ? On doit convenir que pendant cette période, la justification est en général subordonnée à la sanctification à la manière catholique romaine.

Nous ferons deux observations concernant ce problème :

1) La justification est subordonnée dans la mesure où elle ne s'applique qu'aux péchés passés. M. C. Wilcox se conformant à la tradition d'avant 1888, affirme franchement que « la justification... s'applique toujours au passé » (36). Cette tendance essentiellement Wesleyenne se comprend aisément quand on garde présente à l'esprit l'origine Wesleyenne du mouvement, mais nous devons critiquer une pareille orientation à la lumière de l'affirmation adventiste, de poursuivre l'œuvre de la Réformation (37). Steinweg affirme que C. P. Bollman a souvent écrit sur le thème de la justification par la foi (38). S'il est vrai que cet auteur faisait la distinction entre justification et sanctification, il reléguait toutefois la justification au début de l'expérience chrétienne. Edwin Keck Slade, dans The Way of Life, corrige cette tendance, il présente la justification comme s'appliquant au passé, au présent et à l'avenir (39).

2) En accord avec la conception des premiers adventistes de 1844 à 1888, la justification remplit un rôle subalterne, elle n'est que la justification, seulement la justification. Norval Pease parle d'être « simplement justifié », montrant que dans son esprit cette subordination est claire (40). Le manuscrit de Steinweg (41) se rapproche de celui de Pease écrit quelques années auparavant ; il est assez intéressant de constater que Steinweg parle également d'être « simplement justifié », et continue en affirmant que la justice par la foi dans la conception adventiste veut dire justification et sanctification. Qu'entre 1888 et 1950 l'importance de la justification soit limitée par l'adverbe « simplement », ressort du fait que la régénération et la sanctification sont considérées comme un stade supérieur dans le processus du salut. Norval Pease a affirmé que l'apport de l'adventisme a été de donner une plus grande importance à la sanctification qu'à la justification (42). Si Pease veut dire par là que les adventistes ont accordé la priorité à la sanctification aux dépens de la justification, alors son opinion est irréfutable, mais il reste à savoir si cela constitue une véritable contribution au christianisme. M. C. Wilcox mérite d'être cité tellement il va loin :

Si la justification est précieuse, la régénération l'est encore bien plus. L'une est le pardon des péchés passés, l'autre comprend tout cela et en plus, le changement de la nature qui nous a entraînés dans le péché (43).

W. H. Branson dans How men are saved, ne met pas davantage de gants (44). Et Steinweg cite M. L. Andreasen déclarant que « la puissance protectrice de Dieu » constitue une « plus grande puissance », comparée à la justification (45). Andreasen affirme plus loin que notre besoin est la sanctification (au cours des années 1930), afin que « nous puissions par la foi obtenir non seulement le pardon, mais cette puissance protectrice de Dieu qui nous rendra capables... d'aller et de ne plus pécher » (46). Cette époque ne constitue pas une rupture avec la période précédente, puisque l'acceptation par Dieu au jugement dernier est déclarée dépendre de la grâce intérieure de la sanctification. La primauté de la sanctification dans l'œuvre du salut est ainsi affirmée.

Au chapitre précédent, nous avons fait remarquer que déjà en 1886, Uriah Smith considérait la justification comme s'appliquant aux offenses passées seulement, et enseignait la nécessité de la grâce en vue de parvenir à une obéissance à la loi de Dieu acceptable pour le futur (47). En 1889, Smith montre clairement qu'il ne pense pas que le croyant puisse observer la loi par ses propres forces ; en réalité c'est le rôle du Christ en nous, Lui qui est venu changer notre nature. Christ pardonne le passé et aide le croyant à se conformer parfaitement à la loi, ce qui lui permet d'affronter le jugement dernier (48). Il est encourageant de constater que Madame White a saisi cette occasion d'exprimer son désaccord avec la déclaration de Smith (49). G. I. Butler avait la même conception que Smith (50), et en dépit de la réplique de Madame White à Smith, A. V. Olson dans son ouvrage Through Crisis to Victory (De la crise à la victoire) cite en l'approuvant la déclaration de Butler, pour montrer qu'en réalité Butler croyait bien à la justification par la foi (51). E. J. Waggoner après 1891, tout en soulignant l'importance de l'obéissance active et passive du Christ, insistait sur le fait que Christ réalise cette obéissance dans le cœur du croyant.

En conséquence, parallèlement à la tendance réformée, il existe également un fort courant catholique romain. Ce courant conforme au Concile de Trente est repris en 1950 par W. H. Branson, qui parle de ceux qui satisfont aux exigences de la loi par la puissance du Christ qui habite en eux (52). Si et c'est bien le cas, on croit que cette justice impartie est le fondement sur lequel repose l'acceptation par Dieu au jugement dernier, on constate sans peine que la sanctification devient le centre d'intérêt qui commande tout.

L'Évangile de la Réformation est l'Évangile de la justice du Christ mise au compte du croyant. Tout en reconnaissant que la sanctification est un don inséparable de la justification, les Réformateurs considéraient l'homme justifié comme entièrement juste, uniquement en Christ et jamais en lui-même : l'adventisme en a jugé autrement. Le thème du perfectionnisme est apparu périodiquement, c'est tellement vrai que le simul justus et peccator de la Réformation (à la fois juste et pécheur) n'a pas eu d'écho. Pease est quelque peu embarrassé par l'existence du perfectionnisme et le considère comme un phénomène minoritaire (53). Cependant, la question n'est pas tranchée, et comme nous le verrons plus loin, il semble que la doctrine perfectionniste est devenue la position officielle de la Review and Herald, publication officielle de l'Église.

L'élément perfectionniste au sein de l'adventisme a un aspect positif et un aspect négatif. L'aspect positif provient de la conception correcte, du moins du point de vue réformé, qui veut que pour affronter le jugement, une justice parfaite soit nécessaire. Dans la mesure où l'adventisme a saisi cela, il a rendu justice à un aspect de la Réformation que bien des protestants ont négligé. L'aspect négatif cependant montre que les adventistes n'ont pas réussi à reconnaître la valeur de la solution réformée à l'exigence d'une justice parfaite. Pour remplir les conditions d'une justice parfaite, au lieu de regarder à Christ à la droite de Dieu, comme les Réformateurs, les adventistes ont regardé à l'action de son Esprit en eux - Christ en soi.

Dans la période des années 1920, il s'éleva au sein de l'adventisme une tendance à « la vie victorieuse », cette tendance ne peut être distinguée du « mouvement de sainteté » évangélique (Holiness movement). En fait Wieland et Short ont montré qu'une grande partie de la littérature adventiste se réclamait ouvertement des auteurs de ce mouvement évangélique (54). Le perfectionnisme va de soi dans la théologie du « mouvement de sainteté » ; selon ce mouvement, la perfection est obtenue par une puissante intrusion de Dieu dans la personne du croyant, expérience qui se situe au-dessus et au-delà de celle des croyants simplement justifiés. Le vulgaire pélagianisme s'estompe pour laisser la place à un semi-pélagianisme plus raffiné dans le style du Concile de Trente. On insiste sur le Christ en nous qui vit jusqu'au bout Sa vie de perfection dans et par le croyant (55). Certains dans le milieu adventiste, ont assimilé « la vie de victoire » du piétisme évangélique avec la justice de la foi, et ont donné libre cours au perfectionnisme implicite du mouvement (56). Norval Pease ne parvient pas à discerner combien cette tendance perfectionniste est incompatible avec l'affirmation adventiste de continuer l'Évangile de la Réformation, et même si on renonce à cette prétention incompatible avec l'affirmation que le message adventiste, contient quelque chose que n'ont ni les catholiques romains ni les protestants (57).

A. G. Daniells (58) dans Jésus-Christ notre justice, donne une définition de type protestant de la justification (59), puis ensuite s'exprime en termes de sanctification rappelant le Concile de Trente à propos de la nature de la justification (60). Il affirme que l'expérience de la justification consiste à recevoir « Sa justice et Sa vie », et cela devient une « merveilleuse transformation », une « œuvre gigantesque qui transforme les pécheurs en saints » (61). La justice par la foi dit-il, comprend « la victoire sur le péché grâce à la présence de Jésus en nous » (62). Beaucoup d'autres ouvrages pourraient être cités pour illustrer l'influence sur le mouvement adventiste du « mouvement de sainteté », mouvement implicitement perfectionniste (63), influence dont la tendance essentielle met l'accent sur le Christ habitant en nous, Christ qui vit Sa vie dans et par le croyant.

Justifier le caractère de Dieu des accusations de Satan, en prouvant que la loi de Dieu peut être observée correctement, même par de faibles mortels supportant les effets de six millénaires de péché, devient le but suprême du perfectionnisme adventiste. Ce perfectionnisme a trouvé dans l'enseignement du théologien M. L. Andreasen son expression la plus éclatante (64). « C'est au sein de la dernière génération vivant sur la terre que se révélera pleinement la puissance divine en vue de la sanctification ; la manifestation de cette puissance est la justification de Dieu, elle l'absout de toutes les accusations que Satan a portées contre lui. Au sein de la dernière génération, Dieu est justifié et Satan vaincu » (65).

Par la dernière génération, Dieu se trouvera justifié dans l'Église du reste ; Satan qui prétend que la loi ne peut être observée, sera vaincu. Cette accusation sera dénoncée, entièrement réfutée. Dieu ne présentera pas seulement une ou deux personnes qui gardent ses commandements, mais tout un groupe appelé les 144 000. Ils auront démontré la fausseté de l'accusation de Satan contre le gouvernement céleste » (66).

« Par le moyen des saints de la dernière génération, Dieu se trouvera finalement justifié ; par leur moyen, Il est vainqueur de Satan et gagne son procès. Ils constituent une part essentielle du plan de Dieu » (67).

« Il (Paul) n'exige pas la perfection absolue qui équivaut à la sainteté, mais il exige bien la perfection relative... Personne ne parviendra-t-il jamais à la perfection que Paul assure ne pas avoir atteinte ?... Personne n'atteindra-t-il jamais ce niveau ? Nous pensons y parvenir. Lisez la description des 144 000 dans Apoc. 14:4,5 » (68).

« Avant la fin, Dieu possédera un peuple qui sera pourvu de toutes les qualités requises, il reflétera entièrement l'image de Dieu » (69).

Résumé

Les Adventistes du Septième jour affirment être l'Église du Reste et les héritiers de la Réforme. Nonobstant cette prétention, au cours de la période de 1844 à 1950, les fondements théologiques de l'évangile adventiste ont été parfois plus proches des catholiques romains et du Concile de Trente, que des réformateurs protestants.

A ce point de nos recherches, le point crucial concernant l'appréhension de l'évangile dans l'adventisme, se situe dans les rapports entre justification et sanctification. La conception particulière à l'adventisme de la justice qui s'obtient par la foi, a exercé son influence sur la compréhension de ces rapports.

De 1844 à 1950, la théologie adventiste a entretenu la confusion concernant les rapports entre la justification et la sanctification. Le caractère fondamental de cette confusion est la subordination de la justification à la sanctification ; parfois cette confusion se révèle par une définition de la justification qui englobe le renouveau de la sanctification. Cette subordination comporte aussi un aspect chronologique parce qu'elle considère la justification par l'imputation d'une justice extérieure, celle du Christ, exclusivement en termes du passé. La justification est seulement la justification, alors que la sanctification par renouveau intérieur est considérée comme la condition pour être accepté lors du jugement. Etroitement liée à cette subordination, s'est développée cette notion étrangère à la Réformation d'un perfectionnisme hic et nunc (ici et maintenant). En conséquence, la justice qui s'obtient par la foi a revêtu le sens de justification et de sanctification, mais avant tout de sanctification. S'il existe une différence entre les deux périodes étudiées jusque-là, elle se situe dans une évolution partant d'un pélagianisme ouvertement affiché dans la première période (1844-1888), pour parvenir à un semi-plélagianisme plus subtil dans la seconde période (1888-1950).

Cette conception semi-pélagienne, conforme pour l'essentiel au Concile de Trente, a été la cause dans la théologie adventiste d'une grave atteinte à la liberté de Dieu. Il n'y a guère de doute que la principale raison de cette situation réside dans le fait que le mouvement n'est pas parvenu dans sa théologie, à donner la première place à Christ comme l'ont fait les Réformateurs. La définition christocentrique de la grâce seule, aurait suffi à préserver le concept de la responsabilité souveraine de Dieu et de la nature pécheresse du croyant. Devant ces faits, il n'y a pas l'ombre d'un doute que l'incarnation est minimisée dans la théologie adventiste de la période 1844-1950. Elle est soit largement ignorée (1844-1888), soit transférée de la personne de Jésus-Christ à un autre centre, la personne du croyant lui-même (1888-1950).

La théologie adventiste de l'Évangile entre 1844 et 1950, n'a pas réussi à reprendre à son compte la conception réformée de la grâce de Dieu : Dieu lui-même en Christ. La subordination de la justification à la sanctification a trahi la conception spécifique de la Réformation à propos de la grâce, de diverses manières :

1) Tandis que les Réformateurs ont concentré toute leur attention sur la grâce de Dieu dans l'incarnation, la théologie adventiste s'est avérée essentiellement hagiocentrique (centrée sur le croyant). La foi seule de la Réformation est centrée sur le « Christ pour moi », et non pas le « Christ en moi ». Ainsi la vision réformée se détache de la personne du croyant pour regarder à Christ plutôt que de s'attarder à contempler le croyant lui-même, ou Christ dans le croyant, comme c'est le cas du Concile de Trente ou de l'adventisme.

2) Les Réformateurs adoptèrent le schéma du Concile de Chalcédoine à propos de la relation entre la grâce extérieure de Dieu en Christ, et la personne du croyant. Mais dans l'adventisme (ainsi que dans le piétisme évangélique où l'adventisme a emprunté sa piété du style « vie de victoire »), la relation entre Christ (la grâce de Dieu) et le croyant, devient suspecte d'ambiguïté, c'est le cas particulièrement après 1888. Le véritable sens du « Christ qui obéit à la loi en nous », ou du « tout vient de lui », ou encore « cette obéissance n'est pas la nôtre mais celle de Christ », n'est jamais précisé ni dans l'adventisme ni dans le piétisme évangélique. Fatalement cela signifie soit la négation complète de l'humanité du croyant au profit de la personne du Christ, soit une fusion de la personne du Christ et de celle du croyant, qui détruit l'individualité des deux. Une chose est claire, c'est qu'un tel amalgame est incompatible avec la position de la Réformation « par la foi seule ». Il est probable que cette insistance sur « Christ en moi » constitue l'élément moteur du perfectionnisme ; après tout, pour éviter un Christ pécheur habitant en nous, il est indispensable d'avoir un croyant sans péché. Puisque la personne même du croyant est inévitablement liée au processus de sanctification, une fausse relation entre justification et sanctification entraîne toujours une fausse relation entre Christ et le croyant.

En conséquence dans la théologie adventiste de l'Évangile, la justice de la foi n'est pas seulement un amalgame de la justification et de la sanctification, mais principalement la sanctification. Ce qui dans la théologie de la Réforme est exclusivement justification, devient presque exclusivement sanctification, élevée ainsi au rang de grâce prépondérante (prima gratia), et destructrice de la personnalité propre du croyant.

3) Quand la première place appartient à la sanctification, comme c'est le cas dans la théologie adventiste, le simul justus et peccator (en même temps juste et pécheur) de la Réformation est radicalement exclu. Alors que si la sanctification est soumise au feu nourri de la justification (Thielicke), l'immense différence qualitative entre la grâce de Dieu en Christ et la personne du croyant, n'est pas perdue de vue. Par contre si la justification est réduite au rôle de servante de la sanctification, alors il est toujours plus facile de franchir l'abîme qui autrement existe entre la vie et la mort parfaites du Christ, et l'expérience du croyant. Ainsi le « par la foi seule de la Réformation » implique une « altérité » radicale de la grâce. Bien sûr on peut faire l'objection que c'est l'obéissance du Christ dans le croyant qui affronte le jugement, et non le croyant en personne. Mais cette appropriation de fait des mérites de Christ s'exerce aux dépens de l'humanité du croyant.

C'est en raison de la perspective du simul justus et peccator, que Luther considérait la justification du croyant au jugement dernier comme l'achèvement de ce qui a déjà été réalisé premièrement en Christ (70). Notre acceptation par Dieu repose sur le même fondement au début comme à la fin du processus de sanctification, c'est toujours la foi au début comme à la fin. C'est la justice du Christ extérieure à nous- mêmes qui demeure le fondement de notre acceptation par Dieu, et jamais la justice de notre renouveau intérieur (71).

Cette conception réformée contraste de façon frappante avec la position adventiste. D'une façon générale avant 1888, le commencement du processus de sanctification était le pardon des péchés passés grâce à la mort du Christ, tandis qu'il n'était possible d'affronter le jugement dernier que sur la base de l'obéissance du croyant à la loi. Après 1888, c'est plus subtil : l'œuvre et la mort du Christ sont la base de notre acceptation du début à la fin, mais il s'agit de l'œuvre et de la mort du Christ dans la personne du croyant, et non de l'œuvre et de la mort du Christ en faveur du croyant. Le sola fide de Luther (par la foi seule) est obscurci.

Il nous reste à voir comment « les héritiers de la Réformation vivant au dernier jour », se comportent au cours de la dernière période du mouvement.


Notes du Chapitre 4


Partie III.

L'Adventisme et la Réformation après 1950


INTRODUCTION

Continuer la Réforme inachevée, lutter pour rester fidèle à ce but, telle est l'histoire de I'adventisme du septième jour décrite dans les pages précédentes. Cette lutte constante ne se ralentit pas mais au contraire, s'intensifie au cours de la période contemporaine ; des traits caractéristiques se dessinent dont une polarisation dans l'Église, autour de ce qui est le cœur même de l'adventisme véritable. Quelques informations préliminaires concernant la période dans son ensemble, aideront à voir dans une juste perspective, ses aspects importants.

1 - Comme nous pouvons nous y attendre en raison des textes examinés jusqu'ici, le message de 1888 redevient un problème brûlant dans la période contemporaine qui se caractérise à certains égards par un retour à 1888, retour nullement uniforme dans ses caractéristiques.

2 - Le contraste entre la théologie des Réformateurs et celle du Concile de Trente, est visible dans l'adventisme moderne comme il ne l'avait jamais été au cours de son histoire ; ces deux approches théologiques de l'Évangile constituent la polarisation mentionnée plus haut.

3 - Il est utile d'aborder l'adventisme contemporain par décennie, chacune apportant sa contribution distinctive propre, pour cette raison nous allons donner un bref aperçu de toute la période. L'adventisme de l'époque contemporaine diffère nettement de son passé sur des points importants, il est donc nouveau dans un sens très réel. En fait il ne serait pas erroné de dire que les années 70 sont - quant à son objectif - le temps Kaïros (le temps de l'opportunité) pour l'adventisme du 7° jour. La décennie des années 1950 a été celle d'un progrès christologique et d'un retour à l'élément catholique (*) de 1888. LeRoy Edwin Froom et Roy Allan Anderson ont été à l'avant-garde de ce progrès, mais non sans rencontrer d'opposition, manifestée en particulier par M.L. Andreasen dans ses Lettres aux Églises publiées vers la fin de la décennie.

La décennie des années 1960 a été une période de progrès sotériologique (science du salut), rendu possible par les progrès réalisés lors de la décennie précédente ; un effort pour retourner au message de salut de 1888 a marqué les années 1960. Un dialogue intense s'est établi entre ce qui est connu dans les cercles adventistes comme le « Réveil » d'une part, et l'administration de l'Église et les théologiens adventistes d'autre part. Sur certains points importants, cette décennie a rompu avec des conceptions essentielles de l'adventisme, conceptions dominantes avant la période contemporaine.

La période des années 70 se caractérise par une polarisation et une crise provoquées par un progrès sérieux dans le sens de la théologie de la Réformation d'une part, et par un retour à l'adventisme d'avant 1950 d'autre part. Les progrès christologiques et sotériologiques des deux décennies précédentes ont été appréciés de manière tout à fait opposée au cours des années 70. Ceux qui embrassent le courant de pensée de la Réformation estiment être arrivés aux conclusions logiques des découvertes des deux décennies précédentes ; ceux qui sont retournés à l'adventisme d'avant 1950 ont dû répudier les progrès des décennies 50 et 60. L'église adventiste du septième jour au cours des années 1970 passe donc par une crise qui touche à la nature même de l'adventisme.

(*) Catholique, universel, non au sens romain, mais au sens de l'Eglise chrétienne universelle.




5. Après un départ de bon augure : les années 1950 (1)

Vers le début de la période contemporaine, à nouveau certains dirigeants adventistes influents pensaient que tout n'allait pas pour le mieux dans « l'église du reste », appelée par Dieu à continuer la Réformation inachevée du XVIe siècle : Le « grand cri » n'avait pas retenti, le Seigneur n'était pas revenu. Sous ce rapport, la période dont nous parlons ressemblait à celle précédent 1888, durant laquelle Madame White attirait l'attention sur la tiédeur (Laodicée) de l'Église.

Ernest Dick établit un diagnostic intéressant du malaise dans le livre Aflame for God (Brûlants pour Dieu) (2). Il écrit sur le thème « le cœur de notre message » (3), et dit ceci : « La justice par la foi est le cœur du message adventiste ». Il souligne que c'était l'enjeu principal de la Réforme protestante, et celui de la session de la Conférence Générale de Minneapolis en 1888 (4). Cependant écrit Dick, « de 1844 à 1888, l'église adventiste n'a pas délivré une prédication christocentrique, et de ce fait elle est devenue la proie du légalisme et de la faiblesse spirituelle » (5). Dick cite Madame White : « La doctrine de la justification par la foi a été perdue de vue par un grand nombre de ceux qui professent croire au message des trois anges » (6). Mais qu'en était-il jusqu'en 1950 ? Dick écrit : « nous n'avons pas encore saisi - comme Dieu l'aurait voulu - le message important de la Conférence Générale de 1888 » (7). L'Église était encore dans l'état de Laodicée.

Pour Roy A. Anderson, la réponse au dilemme résidait dans une « prédication christocentrique ». S'appuyant sur les écrits de Madame White, il affirmait : « Jésus devrait être le centre de toute doctrine ». Ce thème comme le soulignait Dick, ne se retrouvait comme cela aurait dû, ni dans la prédication ni dans l'enseignement adventiste en général. Les ministres de l'Évangile doivent être brûlants pour Dieu, ce mot d'ordre fut donné dans les rencontres pastorales à la fois aux États-Unis et en Australie. Une « prédication christocentrique », voilà croyait-on le besoin de l'Église. Cette prédication lui apporterait la vigueur nécessaire pour sortir de l'état de pauvreté et de nudité qui était largement son partage.

Le missionnaire R.J. Wieland rentrant d'Afrique, resta de glace face à l'enthousiasme et à la ferveur qui accompagnaient « la prédication christocentrique ». A son avis, l'Église était dans la confusion, et ce fait se traduisait par l'incapacité où elle se trouvait de distinguer entre prêcher Christ, et prêcher l'Antichrist. Pour Wieland, cette prédication « nouvelle manière » ne valait pas mieux que celle de « Babylone » (c'est-à-dire des dénominations protestantes évangéliques) (8). Robert Wieland exprima cette opinion dans une lettre adressée à la Conférence Générale ; il va de soi que les dirigeants furent scandalisés par ce jugement.

A la suite de sa lettre, Wieland écrivit une monographie en collaboration avec D. K. Short : 1888 Re-Examined, qui fut présentée aux responsables de la Conférence Générale comme un manuscrit confidentiel ; en réalité il circula largement sous le manteau parmi les adventistes, et suscita une vive émotion : le contenu en était explosif. Les auteurs avaient pu avoir accès à des rapports de la Conférence Générale de 1888 inconnus jusqu'alors des adventistes en général. L'appendice A de « A Warning and Its Reception » (Un avertissement et l'accueil qui lui a été réservé) présentait des réponses formelles de la part de la Conférence Générale de l'Église. La cause des difficultés de l'Église, affirmait 1888-Re-Examined, résidait dans le rejet du message que le Seigneur lui avait adressé en 1888. Elle y était exhortée en tant que communauté, à confesser sa culpabilité.

Au moment où pour certains, le mot d'ordre « une prédication christocentrique » était devenu presque un simple cliché, L. Froom et R. A. Anderson se sentirent contraints de lui donner plus de substance. Le professeur Froom en tant qu'historien, fut convaincu du manque de véritable orthodoxie du mouvement adventiste avant 1888, il considéra les événements de 1888 comme une tentative de fonder l'Église sur ce qu'il appelait « les vérités éternelles du christianisme » (Trinité, divinité de Christ, humanité de Christ, et Expiation). Froom considérait 1888 comme un pas en avant, car il débarrassa le mouvement de l'anti-trinitarisme et de l'arianisme. Mais il comprenait aussi que l'opposition des adventistes conservateurs empêcha la restauration de toutes les « vérités éternelles ». Il pensait que le temps était venu pour l'adventisme d'aller plus loin encore, c'est-à-dire de prêcher ouvertement la nature sans péché de Christ et l'expiation complète.

Il est important de souligner que l'accent mis par Froom sur 1888 concernait l'orthodoxie et non la justification par la foi ; ainsi l'événement significatif de la période contemporaine fut l'attention centrée sur l'orthodoxie. A cette époque caractérisée par un intérêt renouvelé pour la Conférence Générale de 1888, deux théologiens protestants évangéliques allèrent trouver les dirigeants adventistes dans le but d'éclairer leur propre conception de l'adventisme ( était-ce une secte ou une église évangélique ? ). Donald G. Barnhouse et Walter Martin furent accueillis cordialement au siège de la Conférence Générale.

Les préoccupations principales de Barnhouse et de Martin concernaient la nature de Christ, l'expiation, le concept de Babylone et celui de l'Église du reste. Barnhouse et Martin furent surpris et quelque peu impressionnés lors de la discussion, par les réponses reçues sur ces différents points théologiques. Froom et Anderson nièrent que les adventistes aient réellement enseigné la nature pécheresse de Christ, ou une expiation incomplète à la Croix. Froom déclara que de telles déviations étaient le fait de ce qu'il appelait « la frange extrémiste de l'Église » (9). Il n'y avait qu'à relever les nombreuses citations de Madame White traitant de la nature sans péché de Christ, et de son expiation sur la Croix. Ainsi, Barnhouse et Martin furent convaincus que l'adventisme du septième jour devait être regardé comme une dénomination évangélique malgré ses traits hétérodoxes ( par exemple la non-immortalité de l'âme ).

Rencontre historique pour l'adventisme, cette série d'entretiens et d'études s'étendit sur une période de près de deux ans, le mouvement n'en avait pas connu de semblable depuis ses débuts. Les responsables de l'Église ( en fait les auteurs étaient L. E. Froom, R. A. Anderson, W. E. Read ) firent paraître le volume historique : « Seventh Day Adventists Answer Questions on Doctrine » ( Les adventistes du 7e jour répondent aux questions de doctrine ) (10). W. Martin écrivit à son tour le livre The Truth about Seventh-Day Adventism, ( La vérité sur l'adventisme du 7e jour ).

Cette rencontre historique et la publication de Questions on Doctrine furent diversement perçues par les adventistes. Certains accueillirent favorablement ces événements y voyant enfin la reconnaissance de l'Église en tant que dénomination évangélique. D'autres ( par exemple M. L. Andreasen ) y virent une trahison (11). Pour A. L. Hudson, dans Witnessing a Metamorphosis ( Témoins d'un changement ) (12), c'était le passage du statut de secte à celui de mouvement évangélique reconnu, et manifestement, l'appartenance à cette nouvelle famille spirituelle ne le réjouissait pas. A cette époque, un examen du périodique protestant Christianity Today montrait que les adventistes ne se trouvaient pas seuls à être divisés au sujet du statut de l'adventisme, et de la signification des entretiens de Barnhouse et de Martin avec les responsables de la Conférence Générale (13).

Questions on Doctrine constituait un tournant important pris dans la direction de la Réformation pour ce que Froom appelait « les vérités éternelles » (14). Un progrès certain était marqué en ce qui concerne l'incarnation et l'expiation. A cet égard, le livre accentuait un des aspects importants du réveil de 1888 (15). Ce fait donne à la période contemporaine, un intérêt supérieur par rapport aux deux périodes précédemment envisagées. L'importance de Questions on Doctrine se révèle moindre cependant lorsque nous cherchons à mettre en évidence une progression ( par rapport à ces deux périodes citées ) dans la présentation adventiste de la justification par la foi. Dans le domaine de la sotériologie ( doctrine du salut ) et en particulier de la grâce (16), on n'y trouve pas de progrès significatif. Le livre subordonne la justification à la sanctification, et adopte ce que Nierbuhr appelait « la conception augustinienne de la grâce » :

... que l'on est justifié, non par l'obéissance à la loi, mais par la grâce qui est dans le Christ Jésus. En acceptant le Christ, l'homme est réconcilié avec Dieu, justifié par son sang pour les péchés du passé, et sauvé de la puissance du péché par la vie de Christ en lui (17).

La citation précédente est suivie dans le livre de la déclaration ci-dessous :

Ainsi l'Évangile devient « la puissance de Dieu pour le salut... » Cette œuvre est réalisée par l'agent divin, par le Saint-Esprit... l'honneur et le mérite de cette merveilleuse transformation appartiennent totalement à Christ (18).

Le professeur Froom étant l'un des auteurs de Questions on Doctrine, il n'est pas surprenant qu'il parle dans son livre édité plus tard, Movement of Destiny (19) de « justification initiale ». Il est indubitable que le professeur Froom avait la ferme conviction de la nécessité pour les adventistes de corriger leur théologie en ce qui concerne ces « vérités éternelles ». Avec le sérieux qui caractérisait ses recherches, il réunit les preuves de la grande pauvreté du mouvement sur ces questions dans les années qui précédèrent 1888 (20). Il croyait évidemment qu'après le redressement opéré par Questions on Doctrine, l'adventisme accepterait enfin le message de 1888. En conséquence nous constatons chez LeRoy Edwin Froom, un retour à l'accent mis en 1888 sur l'orthodoxie chrétienne. Quoiqu'il ne faille pas sous-estimer pour le mouvement adventiste, ce retour aux grandes vérités du christianisme, il semble que le professeur Froom n'ait pas pris conscience que l'on peut être en harmonie avec ces dernières, tout en restant « catholique romain » dans sa sotériologie.

Questions on Doctrine fit accepter les adventistes en tant que chrétiens par beaucoup de ceux qui hésitaient à les reconnaître comme tels, mais sous le rapport d'un progrès réel vers la théologie de l'Évangile telle que la Réformation l'annonce, son impact fut limité. Tandis que la position prise par le mouvement au sujet des grandes vérités du christianisme établissait clairement que les adventistes étaient des chrétiens, il n'en allait pas de même quant à la netteté de leur adhésion aux grands principes de la Réformation, plutôt qu'à ceux de la tradition catholique romaine. Questions on Doctrine apporta peu de soutien à la prétention des adventistes d'être les héritiers privilégiés des Réformateurs ; il semble cependant que le professeur Froom ne s'en rendit pas compte.

Les défaillances de Questions on Doctrine dans le domaine de la sotériologie au sujet de la justification par la foi, se retrouvent ailleurs au cours de cette période. En dépit de toutes ses bonnes intentions, le livre Aflame for God ne contribua pas à faire de l'adventisme un héraut puissant de la justification par la foi. Ce volume contient de nombreux discours sur la nécessité de prêcher le message, mais on trouverait avec peine un passage qui cherche même à définir clairement quel est ce message. La contribution de E. Dick à l'étude de « Le cœur de notre message » (21) mentionnée au début de ce chapitre, est typique en cela. Dick écrit que le message du mouvement adventiste est «... la justification par la foi... la sanctification par la foi... la glorification par la foi... tout cela ensemble est la justice par la foi » (22). La conception selon laquelle la justification couvre seulement les péchés du passé, est clairement indiquée par exemple par le Comité Exécutif de la Division Australasienne de l'Église Adventiste en 1959. Nous lisons :

L'expérience de la justification est souvent définie comme une justice imputée. La justification - ou justice imputée - s'applique seulement au passé. La sanctification - ou justice impartie - s'applique seulement au présent et au futur. La justification est l'action de Dieu s'appliquant à la vie de péché passée de l'homme (23).

De même A. V. Olson dans Through Crisis to Victory, montre qu'il ne comprend pas la conception paulinienne (ou de la Réforme) quand il cite la position de G. I. Butler - (une position nettement en désaccord avec celle de la Réforme) - pour prouver qu'il croyait bien en la justification par la foi (24). Olson cite également le commentaire de J. H. Waggoner sur Romains 3:21, pour montrer que ce dernier croyait réellement en la justification par la foi. Dans ce passage, Waggoner identifie la justice de Dieu avec ses attributs propres, la révélation de sa volonté, « et troisièmement ... la justice de ses saints dont les caractères sont rendus conformes à sa volonté. Il (le terme justice) est employé dans ce dernier sens dans 2 Cor. 5:21, " afin que nous devenions en lui justice de Dieu... " » (25). Ces affirmations adventistes d'autrefois, utilisées par Olson à l'appui de sa conception, s'opposent à la position du véritable protestantisme, mais sont par contre typiquement catholiques romaines.

W. H. Branson dans son livre Drama of the Ages exprime sa conviction à ce sujet. Selon lui l'acquittement du croyant lors du jugement dernier est prononcé sur la base de son obéissance à la loi divine :

Mais puisqu'en effet la loi existe, elle est le critère de la justice de ceux qui accomplissent ses exigences par la puissance de Christ vivant en eux... Autrement dit, lorsqu'un homme transgresse seulement l'un de ses plus petits commandements, et dit aux autres que l'obéissance à la loi morale n'est pas nécessaire, Dieu et les saints anges dans le ciel le considèrent comme le plus petit parmi les hommes sur la terre : Il est installé dans le péché. Mais quand un homme les observe tous et apprend aux autres l'importance de cette obligation, l'armée céleste l'approuve : Il est appelé « grand » dans le royaume des cieux. C'est cela le critère du jugement dernier. « Ecoutons la fin du discours : Crains Dieu et observe ses commandements, c'est là ce que doit tout homme » (Eccl. 12:13). Un chrétien qui par la foi en Jésus, a fidèlement accompli les exigences de la loi, sera acquitté : Il n'encourt pas de condamnation car la loi ne trouve aucune faute en lui (26).

Lors de l'importante convention biblique réunie en 1952 (27), le professeur Heppenstall traita du sujet « les alliances et la loi » (28). Dans ce document, il présentait la justice par la foi comme étant à la fois justification et sanctification, mais principalement cette dernière :

L'autre méthode qui met en harmonie l'homme et la loi, consiste à changer la nature pécheresse de l'homme, et à la mettre à nouveau en accord avec la loi divine. Il existe une seule méthode pour atteindre ce but : la gratuité de la grâce ou justice par la foi. Par conséquent, si nous comptons sur la puissance de Dieu, il s'agit bien du salut par grâce (29).

Pour le professeur Heppenstall, « l'Évangile produit la sainteté dans l'homme ». C'est l'œuvre de Dieu dans l'âme (30). Heppenstall considère comme identiques l'opposition entre lettre et esprit, et celle entre « justice par les œuvres » et « justice par la foi » (31). Le professeur Froom avec toute sa réputation (dans et hors de l'adventisme), s'associe à l'enseignement adventiste traditionnel quand il affirme que l'acquittement lors du jugement est prononcé, en partie au moins, en fonction de l'obéissance intérieure du croyant (opérée naturellement par Christ) :

L'obéissance et la justice parfaites de Christ : une obéissance méticuleuse et constante à la loi morale ne produira jamais en nous la justice exigée sans laquelle personne ne peut subsister en la présence d'un Dieu saint. Seules l'obéissance parfaite et la justice sans tache de Christ - à la fois Dieu et homme - toutes deux imputées et communiquées au croyant, satisferont à la fois aux exigences de la loi, et à celles d'un Dieu saint (32).

Malgré la direction prise dans les années 50 par Questions on Doctrine vers l'orthodoxie authentique des Réformateurs, la communauté adventiste n'a pas pour autant réussi à justifier sa prétention d'être l'héritière privilégiée de l'Évangile de la Réformation ; la présence du perfectionnisme durant les années 50 prouve cet échec. Le perfectionnisme va se retrouver chez plus d'un des participants à la convention biblique mondiale de 1952 (voir Our Firm Foundation) (33). W. H. Branson traite de la justice imputée et de la justice communiquée (34). En ce qui concerne la première il se montre tout à fait protestant, mais dans sa conception de la justice communiquée, il se révèle être en désaccord avec la pensée de la Réformation. Prolongeant la direction fondamentale prise par le mouvement de 1888 jusqu'à lui, Branson conçoit que les exigences de la loi sont satisfaites par le Christ vivant dans le cœur du croyant :

Et quelle est la conséquence de la présence de Christ dans le cœur et la vie de l'homme ? Il œuvre en nous, accomplissant la volonté de Dieu par nous. « C'est Dieu qui produit en vous » (Phil.2:13) ; par la vie et l'œuvre de Christ en nous, nous serons « remplis de toute la plénitude de Dieu » (Eph.3:19) (35).

Dans notre brève revue théologique des deux périodes précédentes, nous avons relevé que la relation entre le croyant et la présence de Christ en lui est toujours ambiguë. En voici un exemple typique tiré de Branson :

Il est capable de « faire infiniment au-delà » ; nous ne pouvons rien mais Il est puissant pour sauver ; sa toute-puissance est unie à notre humanité, et notre capacité à réaliser la justice dépend de « la puissance qui agit en nous ». Puisque cette puissance est maintenant Christ, nos vies refléteront ses vertus et sa beauté : « Il est capable » (36).

Cela signifie-t-il que nous sommes en présence d'un Christ qui peut pécher, ou d'un croyant qui ne peut pas pécher ? (37) Branson est clair :

La perfection est alors possible pour nous. Le Dieu qui a démontré sa puissance en ressuscitant Jésus, peut aussi vous rendre parfaits - parfaits en chaque bonne œuvre dans l'accomplissement de sa volonté. Comment cela se fait-il ? Par Christ œuvrant en nous. Il accomplit en nous et par nous ce qui est agréable aux yeux de Dieu ; ainsi nous recevons sa justice qui ne provient cependant pas de nos bonnes œuvres, mais de ce qu'Il fait en nous et par nous (38).

Une Transformation

Cette expérience amène une transformation complète de la vie, nous devenons participants de la nature divine, et les vertus de Christ prennent la place des œuvres de la chair (39).

Plus loin dans le même ouvrage, Branson développe sa logique : « Aussi longtemps que Christ conserve un contrôle complet, l'homme ne pèche pas puisque Christ n'est pas un pécheur » (40). J. H. Jemison, dans Our Firm Foundation (41) également, développe très clairement la conception de M. L. Andreasen relative à la dernière génération des croyants : ceux-ci présenteront un caractère sans péché, identique à celui du Sauveur (42).

Bien que nous n'exposions pas la position de E. Heppenstall exprimée dans le chapitre «les alliances et la loi » (43) de Our Firm Foundation, il importe de remarquer qu'il semble être d'accord avec le perfectionnisme de Branson et de Jemison. Nous signalons cela parce que le professeur Heppenstall prend une position anti-perfectionniste dans la décennie suivante.

Il est intéressant de citer encore un autre avocat du perfectionnisme dans les années 1950 : « The Defense Literature Committee of the General Conference » (44). (Nous disons intéressant, car plus tard le comité changea sa position et publia des articles anti-perfectionnistes contre le « Réveil » des années 1960) Le comité reproduit en les approuvant, des paragraphes « appartenant à une lettre récente de A. W. Spalding, l'un de nos frères les plus expérimentés et les plus honorés... » Voici l'un de ses paragraphes :

Il est clair qu'en tant que peuple, nous n'avons pas encore fait cette expérience (de la perfection), et qui peut prétendre que lui-même ou quelqu'un d'autre l'ait faite ? Nous n'atteindrons pas la perfection en regardant à nous-mêmes ou à d'autres ; mais ceux dont le regard est fixé sur Jésus, ceux qui s'oublient eux-mêmes, plus encore, qui sont vidés d'eux-mêmes, ceux-là seuls l'atteindront. « Christ en vous, l'espérance de la gloire » (45).

L'agitation suscitée par Brinsmead : une démarche pour une solution au problème du jugement à venir.

A bien des égards, le combat spirituel de Robert D. Brinsmead et de ses amis apparaît comme le modèle réduit de l'affrontement qui se développe au sein de l'adventisme aujourd'hui. Une étude de « l'agitation Brinsmead » apportera par conséquent une assise solide à tout ce qui a été dit au sujet des deux périodes antérieures, et à ce qui doit être dit à l'égard de la théologie adventiste actuelle de l'Évangile.

Il nous faut d'abord considérer quelques aspects particuliers à l'eschatologie adventiste. Comme de nombreux pré-millénaristes évangéliques, les adventistes placent la grande tribulation avant la seconde venue de Christ, ils appellent cette période « le temps de détresse », période aussi terrible, davantage peut-être, que la tribulation à venir attendue par d'autres évangéliques. Les adventistes croient que le temps de détresse suit la fin du temps d'épreuve - ou temps de grâce - de l'humanité, quand il n'y aura plus d'intercesseur dans le sanctuaire céleste, même pour les élus. Tandis que de nombreux pré-millénaristes croient que le peuple de Dieu sera enlevé de ce monde avant la tribulation, les adventistes croient que les élus devront passer par cette période terrible. Au lieu d'un enlèvement précédant la tribulation, il y aura pour tout le peuple de Dieu, avant le retour du Christ, un jugement spécial, et au cours de ce « jugement préliminaire », une « marque » ou « sceau » de protection, sera apposé sur les fidèles. De même que d'autres pré-millénaristes attendent un enlèvement imminent et secret des croyants hors de cette terre, de même les adventistes attendent un verdict imminent du jugement final qui a lieu dans le ciel ; ce verdict scellera les justes en vue du temps de détresse. Les adventistes sont convaincus que leur mission propre consiste à proclamer en tous lieux que « l'heure de son jugement est venue » (Apoc.14:7). Ils y voient avec la prédication du retour littéral de Christ en puissance et en gloire, leur grande tâche pour préparer un peuple capable de subsister lors de ce jugement et de la tribulation à venir, alors que Christ ne présentera plus son sang en faveur des pécheurs.

Comme Norval Pease le reconnaît franchement, en sotériologie l'accent est mis sur la sanctification et la justice communiquée, plutôt que sur la justification et la justice imputée (46). Notre recherche dans la littérature adventiste des deux périodes précédentes a confirmé les déclarations de Pease. Comme nous l'avons indiqué, un très fort courant perfectionniste a existé dans le mouvement ; la croyance généralement admise était qu'il fallait être scellé pour subsister pendant le temps de détresse. Et seulement seraient scellés ceux qui atteindraient l'état de perfection morale et spirituelle (47). Il est vrai que les adventistes ont parlé de salut par grâce et par la justice de Christ, mais ils entendaient généralement par là, posséder la grâce de Christ dans le cœur afin d'observer la loi de Dieu - d'une manière telle qu'ils satisfassent l'exigence du jugement - et posséder aussi la justice de Christ dans le cœur (c'est-à-dire la sanctification). La justification a été comprise comme étant la démarche première faite par le croyant lors de sa conversion. La justification fait de lui simplement un candidat à la réception du « sceau », mais cette fin suprême ne peut être atteinte sans une sanctification suffisante qui le qualifie devant le redoutable tribunal de Dieu.

En exemple de cet accent mis sur la sanctification, rappelons seulement l'enseignement de Branson cité vers la fin de la section précédente de ce chapitre. Branson caractérise assez bien les adventistes qui enseignaient Christ en eux, et pouvant observer aussi parfaitement la loi qu'Il le fit deux mille ans plus tôt, si seulement ils voulaient bien le lui permettre. La doctrine du péché originel brillait par son absence, en particulier à cause de l'appel simpliste de s'en remettre à la puissance de Christ, pour « tout » faire.

En 1955, un jeune agriculteur australien, Robert Brinsmead, décida d'aller étudier sérieusement la théologie au collège d'Avondale en Australie. Il prit à cœur la totalité de l'enseignement de son Église, relatif à la préparation pour le jugement, le temps de détresse, et le retour du Seigneur. Pour lui le « comment subsister lors du jugement » était une question angoissante (48). Brinsmead fut troublé tout autant que le fut Luther au XVIe siècle par la notion de péché originel. Dans A Review of the Awakening Message, il écrivait ces commentaires révélateurs :

Dans les années 1950, j'en arrivai à la ferme conviction que cette conception acceptée par le plus grand nombre - atteindre la perfection - était impossible à réaliser, et sans fondement, soit que l'on considère les témoignages indubitables de la Parole inspirée, soit ceux de l'histoire ou de l'expérience. A cause de cette doctrine encore enseignée lors de mon arrivée au collège en 1955, très peu de gens parmi ceux que je questionnais possédaient l'espérance réelle et certaine d'être acquittés lors du jugement des vivants. Il n'est pas exagéré de dire qu'un grand nombre d'entre eux vivaient dans la crainte réelle, la terreur même. Ils n'avaient en effet à leur connaissance aucune autre possibilité de se préparer sinon de « s'efforcer davantage par la grâce de Dieu », et de souhaiter que l'heure d'un tel jugement vienne le plus tard possible (49).

Brinsmead ne put trouver une grande consolation dans l'optimisme et les réponses simplistes de ceux auprès desquels il cherchait conseil, d'ailleurs la connaissance théologique nécessaire à la formulation du problème du péché originel lui faisait alors défaut. Il parla des « cicatrices du péché », de « souvenir du péché », et plus tard, ajoutant un soupçon de terminologie freudienne, du « péché subconscient ». Comme on l'a déjà dit, la théologie adventiste - sur le sujet du péché originel - ne pouvait être d'un grand secours à Brinsmead. Notre recherche a révélé qu'en dehors d'allusions peu fréquentes chez Madame White, la théologie adventiste a presque complètement ignoré le sujet du péché originel (50). En conséquence, Brinsmead se tourna vers les Réformateurs afin d'y trouver l'information nécessaire.

Brinsmead paraît avoir été le premier au sein de l'adventisme à développer et asseoir d'une manière systématique, la doctrine du péché originel (51). Ses écrits montrent clairement que le problème anthropologique occupait une large place dans sa pensée. Cette importance vient à n'en pas douter, de l'enseignement sur l'imminence du jugement, la dernière tribulation et le retour de Christ. La réponse apportée par Brinsmead à la question du péché originel reçut le nom de « Awakening Message » (Message de Réveil) - une agitation interne de l'Église qui secoua l'adventisme pendant les années 60. A l'examiner, la réponse de Brinsmead se révèle être une curieuse synthèse de la pensée de la Réforme, et de la conception adventiste du jugement préliminaire. La Réformation y apportait la doctrine de la justification, l'adventisme celle de Dieu amenant à la perfection avant le retour de Jésus, la dernière génération des croyants. L'œuvre de Brinsmead témoigne d'une tentative de grande envergure pour harmoniser ces deux courants de pensée, pour faire cesser la tension irréductible entre la conception de la justification par la foi des Réformateurs, et le perfectionnisme adventiste (52). Sa théologie ne pouvait être représentée par un cercle à centre unique, mais par une ellipse à deux foyers : une justification de style protestant avec une deuxième étape, la perfection : en somme une conception de style wesleyen-adventiste.

L'acceptation de l'existence du péché originel conduisit Brinsmead à rejeter dans son ensemble la conception de la nécessité de la perfection requise avant le jugement. Cette démarche constitue une rupture nette avec la notion habituelle de sanctification rencontrée jusqu'ici dans nos recherches. Pour Brinsmead, aucun degré de grâce intérieure ou « justice communiquée », si élevé soit-il, ne pourrait nous permettre de subsister lors du jugement. Christ seul possède la justice requise pour être acquitté lors du jugement dernier, et Brinsmead ajoute : Il se tient en qualité de représentant du croyant à la barre du tribunal. Brinsmead l'exprime ainsi :

L'idée que les hommes lors du jugement auraient besoin de la miséricorde de Dieu, ou pour être plus précis, que les hommes repentants mais cependant pécheurs, pourraient se présenter avec assurance et joie par la foi en la justice d'un substitut, était pour beaucoup une conception nouvelle. Davantage, c'était la nouvelle la plus douce et la plus joyeuse que de nombreux adventistes n'aient jamais entendue. Ni le temps, ni les circonstances, ni les limitations dues à des conclusions erronées ne peuvent effacer le souvenir de croyants pleurant d'une joie véritable, â la simple révélation que Christ est notre justice lors du jugement, le verdict rendu en notre faveur, la porte ouverte, et que regardant à Christ, nous pouvons dire : « tout est prêt, venez aux noces ! » (53)

Brinsmead continue pour indiquer d'une manière rappelant celle de Niebuhr, que cette découverte était une voie toute nouvelle à l'intérieur de l'adventisme, voie qui semblait refuser à Dieu le pouvoir de rendre le croyant juste :

Par conséquent nous rejetions tout perfectionnisme ici et maintenant, nous comprenions clairement qu'il était impossible à réaliser - sauf en Jésus-Christ - au cours du temps de grâce qu'est la vie d'un croyant (voir Testimonies, vol.4, p.367). Il semblait à nombre d'entre nous que nous refusions à l'Évangile la capacité de nous rendre parfaits maintenant. Pour les critiques ironiques, nous nous bercions en vain de l'espoir trompeur de paraître au jugement dans « la robe de la justice personnelle de Christ » (54).

Brinsmead enseignait qu'au lieu de considérer le jugement tout proche avec crainte et terreur, il fallait l'attendre dans la joie et l'allégresse. Les croyants devaient dire avec Luther : « Ô Jour heureux du Jugement ! ». Les strophes suivantes tirées d'un chant du Réveil, résument la pensée de Brinsmead :

Jésus se tient à ma place à la barre du tribunal,
Lui l'agneau sanglant et brisé,
Il offre maintenant pour moi ses mérites,
Là, devant le trône de son Père.
Jésus se tient à ma place à la barre du tribunal,
Je n'ai rien à présenter en ma faveur,
Mais en Lui réside toute perfection,
Il est toute ma justice (55).

Le perfectionnisme est l'autre élément de la théologie de Brinsmead. Il doit être rappelé que les adhérents du Réveil rejetaient une perfection ici et maintenant. Brinsmead était cependant à cette époque, encore trop imprégné du concept de la dernière génération, cher à Andreasen, pour nier que les croyants appelés à vivre dans « le temps de détresse », seraient complètement sans péché. Selon les mots même de Brinsmead :

Cependant à la même époque, nous n'avions pas, nous ne pouvions pas rejeter l'idée héritée de l'adventisme selon laquelle il faut être sans péché, en vue de vivre privés de la médiation de Christ, après la fin du temps de grâce. Pour nous cette conception demeurait encore du « véritable adventisme ». Nous en avions conclu que cette expérience finale « hors de notre portée », serait un don de la miséricorde gratuite de notre Juge, opérée dans le cœur des enfants de Dieu par « l'expiation finale », et la « pluie de l'arrière-saison » (56).

Comme nous l'indiquons ici, la contribution originale apportée par Brinsmead fut de concevoir l'effacement du péché originel chez les croyants de la dernière génération lors du jugement préliminaire. En d'autres termes, ce que le protestantisme orthodoxe disait s'accomplir lors du second avènement de Christ, Brinsmead le plaçait lors du jugement antérieur à la parousie, dans l'eschatologie adventiste. En dépit de ses affirmations attestant la toute suffisance de la justice de Christ, il maintenait encore la réalité du perfectionnisme après le jugement antérieur à la tribulation et à la parousie. A la différence de Wesley qui laissait « sa seconde bénédiction » suspendue en un « quelque part », ou à « un certain moment » mystique, Brinsmead liait la perfection à un événement eschatologique imminent.

Les deux éléments de justification et de perfection sont à la fois présents (57) dans toute la théologie de Brinsmead avant 1970. C'est une étrange association, vraiment ! Selon la conception de la Réformation, le premier exclut le second et celui-ci est l'ennemi du premier, car il ne laisse pas de place au simul justus et peccator (à la fois juste et pécheur) de la Réforme. Avant 1970, Brinsmead s'efforça de concilier le « protestantisme historique », et ce qu'il tenait pour « l'adventisme historique ». Dans les écrits de cette époque, d'excellents emprunts à la théologie de la Réformation sont dénaturés par un perfectionnisme eschatologique contradictoire.

Malgré l'opposition manifestée par les dirigeants de l'Église envers la théologie de Brinsmead, il est évident que ce dernier apporta une contribution durable au sein de l'adventisme (58). En effet, il se forma un petit groupe de théologiens adventistes qui reconnurent le problème posé par le péché originel, et affirmèrent sa persistance jusqu'au retour de Christ (59). Ces théologiens s'opposèrent à la nouvelle conception du perfectionnisme par Brinsmead, tandis que lui-même s'opposait au perfectionnisme traditionnel, d'hommes tels que W. H. Branson. Cependant, malgré la contribution de Brinsmead, la controverse devint tendue et quelque peu agressive. Ceux qui à travers le monde, témoignaient de quelque sympathie avec le message de Réveil, se voyaient retirés de leurs charges, et/ou exclus de la communauté (60).

La situation ressemblait à certains égards à celle de 1888. Ceux qui repoussèrent E.J. Waggoner et A.T. Jones, rejetèrent une force qui aurait pu aider efficacement leurs descendants à rendre crédible leur revendication d'être les héritiers privilégiés de l'Évangile de la Réformation. Il en fut de même avec Brinsmead : Il faisait retentir un son clair dans le ton de la théologie de la Réformation, celui de la toute suffisance de la vie et de la mort de Christ, substitut de l'homme, ce que Waggoner et Jones avaient déjà fait. Pourtant Brinsmead fut contraint de sortir de l'Église, il fut de ce fait plus difficile à ceux restés fidèles à leur dénomination, de considérer avec objectivité l'accent mis par Brinsmead sur l'Évangile de la Réformation.

Brinsmead termine son pèlerinage aux sources : Luther et Calvin

En 1970, Brinsmead entreprit une étude approfondie des Réformateurs ; non seulement il lut ces derniers, mais il étudia aussi la théologie catholique romaine. Pour la première fois, il saisissait la différence entre la Réforme et l'Église catholique romaine. Il fut surpris d'apprendre que les catholiques romains n'enseignent pas simplement que le salut repose sur le mérite de l'homme.

Le commentaire de l'épître aux Galates de Luther révéla à Brinsmead le sens donné par les Réformateurs à l'expression « justice par la foi » : la justification seule. Avant cette étude, il pensait que la justice par la foi signifiait à la fois la justice imputée et la justice communiquée. Pour lui, la perfection atteinte à la fin des temps était en conséquence, le terme (bien que par grâce) d'un processus graduel de sanctification. Mais maintenant il connaissait la pensée des Réformateurs en ce qui concerne la justice par la foi, il comprit que ces deux conceptions : la justice par la foi et l'état sans péché du croyant, s'excluaient l'une l'autre.

Aucun des critiques de Brinsmead (pas-même Heppenstall, Ford ou LaRondelle) n'avait été capable avant ce moment, d'ébranler son perfectionnisme eschatologique, car ils incluaient dans la justice par la foi, la justification et la sanctification. Mais arrivé à ce point, Brinsmead se trouvait confronté à une décision grave, il avait été conduit à comprendre que le Sola Fide (la foi seule) de la Réformation était opposé à la perfection ontique (en l'homme) réalisée ici et maintenant, même si cette perfection devait être celle de la dernière génération. L'une de ces deux conceptions devait être rejetée : Brinsmead abandonna son perfectionnisme, et conserva le Sola Fide des Réformateurs.

Une étude de la théologie de Brinsmead faite après ce moment décisif, révèle une opposition radicale à l'égard de la conception médiévale de la gratia infusa et de toutes les formes de perfectionnisme. Après l'échec en 1971, de sa tentative de réconciliation avec les responsables de l'Église, Brinsmead édita le périodique Present Truth où il développa sa découverte de la théologie de la Réformation. La revue Present Truth, éditée actuellement sous le titre de Verdict, invite l'Église adventiste au dialogue, un dialogue qui concerne le cœur même du message délivré au monde par le mouvement.

Au cours des années 60, la théologie de l'adventisme du septième jour - exposée le plus souvent par la Review and Herald - a été une théologie de dialogue en dehors de l'Église avec Brinsmead, et dans l'Église avec ses amis. C'est vers ce dialogue que nous allons maintenant tourner notre attention.


Notes du Chapitre 5




6. Conflit et progrès : les années 1960

Pour l'adventisme du septième jour, les années 60 ont été une période de conflit théologique ; toute opinion - positive ou négative - exprimée sur cette époque doit être formulée à partir de cette donnée. L'Église adventiste y fut en controverse avec le « Message de Réveil » de Brinsmead, et c'est au cours de ce dialogue que se dégagèrent les caractéristiques principales de cette décennie.

1. Comme il l'a été dit au chapitre 5, Brinsmead reportait au jugement l'accomplissement de la perfection. Les responsables adventistes répliquèrent en soutenant une conception de la sanctification fondamentalement plus simpliste que celle des Réformateurs du XVIe siècle. Elle se caractérisait par l'absence d'allusion - si minime soit-elle - à la doctrine du péché originel ; l'existence d'un état de péché corrupteur et réel chez le croyant était simplement écartée. Ceci fut la première phase du dialogue avec le Réveil, phase au cours de laquelle les dirigeants du mouvement adventiste taxèrent d'antinomien l'enseignement de Brinsmead.

2. Au milieu de ce conflit apparaît ensuite ce qui est le fruit direct de la controverse théologique : Quelques-uns des théologiens les plus éminents de l'Église commencèrent à exprimer des doutes sérieux sur le sujet de la perfection dans son ensemble. Le premier à soutenir ouvertement qu'il n'y avait « pas de perfection accomplie dans le croyant avant le second avènement de Christ », fut le professeur Heppenstall. Pour lui ces deux conceptions, celle de l'état de perfection atteint par le croyant, et celle du salut par la grâce seule, étaient incompatibles. La position d'Heppenstall - pas de perfection jusqu'au retour de Christ - s'opposait non seulement au perfectionnisme de Brinsmead, mais également à l'enseignement traditionnel adventiste relatif à la perfection. Il est par conséquent surprenant que l'enseignement d'Heppenstall n'ait pas soulevé d'opposition - du moins ouvertement - de la part des dirigeants de l'Église. L'intensité du conflit opposant ces derniers à Brinsmead était telle que le déviationnisme - par rapport à l'adventisme traditionnel - du professeur Heppenstall ne suscita pas de riposte. Le professeur Desmond Ford et le pasteur L. C. Naden furent parmi ceux qui, pour s'opposer à l'enseignement de Brinsmead, adoptèrent cette nouvelle façon de concevoir la perfection. Ce fait constitue la deuxième phase dans le conflit avec le Réveil, phase marquée par des gains réels lorsqu'on les soumet au critère de l'Évangile de la Réformation. Durant cette période du conflit, on assista à une reconnaissance authentique du péché originel et à un désaveu sans équivoque du perfectionnisme. Ces deux aspects des années 60 marquent un progrès sotériologique de l'adventisme du septième jour vers la réalisation de son objectif déclaré : continuer la Réformation du XVIe siècle.

3. Au cours des années 60, on assiste à un effort réel en vue de justifier le dessein adventiste : apporter l'Évangile à un monde moribond et à un protestantisme apostat. Il est difficile d'apprécier dans quelle mesure le conflit avec le Réveil, détermina cette tentative de présenter l'Évangile libéré de tout légalisme et de tout élément étranger à la pensée de la Réformation. Il est possible que l'on croyait sincèrement apporter par la prédication correcte de l'Évangile, le meilleur antidote au Brinsmeadisme. Cette attitude s'explique, car un grand nombre d'adventistes considéraient ce conflit à peu près comme une dispute théologique futile relative à des notions abstraites peu importantes. Mais quelles qu'en soient les raisons, cette décennie se révéla encourageante pour certains aspects de l'enseignement adventiste de l'Évangile.

4. En dépit des trois points précédents, les années 60 furent aussi une période de confusion ; tout en s'efforçant d'être « protestante », l'Église montrait aussi dans son enseignement d'autres courants de pensée irréconciliables. Par exemple dans les articles de la Review and Herald de cette période, voisinaient - en bonne intelligence je suppose - un effort évident pour être en accord avec l'héritage protestant du salut par grâce, et des affirmations appartenant indubitablement à la théologie du concile de Trente. Bien plus, pour défendre son enseignement contre le Réveil Brinsmead, l'Église faisait jaillir de la même source des arguments contradictoires. Trois explications possibles s'offrent à l'interprétation de ce phénomène : - 1) La nature incompatible des arguments employés n'a peut-être pas été perçue. - 2) La nature incompatible des arguments a peut-être été perçue, mais c'était pensait-on, un prix normal à payer pour supprimer la menace représentée par le Réveil. - 3) Peut-être le conflit révélait-il l'admission tacite par les dirigeants de l'Église, de l'existence dans l'Église du Reste, de deux conceptions complètement différentes du fondement de sa confession de foi. Quelle que soit l'interprétation correcte de cette attitude, elle demeure secondaire par rapport à notre propos : l'observation de ce trait contradictoire de la théologie adventiste des années 60.

Avant de procéder à un examen plus détaillé de cette période, il nous faut rattacher certaines de ses caractéristiques à celles de la décennie précédente. Les progrès sotériologiques des années 60 (la reconnaissance du péché originel et le refus du perfectionnisme ici-bas) s'ajoutent aux progrès christologiques de Questions on Doctrine, et les développent. Mais les années 60 marquent aussi une progression par rapport à Questions on Doctrine qui avait gardé une tonalité nettement perfectionniste. Au cours des années 60 le perfectionnisme est désavoué, et des implications théologiques importantes découlant de l'acceptation de la christologie de Questions on Doctrine, voient le jour.

L'aspect négatif des années 1960

Comme nous l'avons souligné, l'église adventiste du septième jour durant les années 60 (1), lutta contre l'enseignement de Brinsmead ; ce conflit peut être divisé en deux phases. Au cours de la première partie de la décennie, Brinsmead était combattu parce qu'il repoussait au jugement l'expérience de la perfection morale ; mais dans la seconde phase du conflit, Brinsmead était pris à partie parce qu'il voulait maintenir à côté de son adhésion à la Réformation, ce qu'il tenait comme la position de l'adventisme historique traditionnel : la perfection de la dernière génération. Nous traitons de la première phase du conflit sous le titre « aspect négatif des années 60 » (2).

Brinsmead soutenait que la corruption du péché demeure jusqu'au jugement chez le croyant régénéré, mais on rejetait cette affirmation parce qu'on lui reprochait de nier la puissance de l'Évangile et celle purificatrice du Saint-Esprit, pour arracher dès maintenant le péché du croyant. Brinsmead était considéré comme un antinomien, et par conséquent comme un danger pour les membres de l'église du reste. Selon les mots même du pasteur L.C. Naden, la faction Brinsmead :

« ... minimise la puissance transformatrice de l'Évangile agissant par le Saint-Esprit, qui fait de nous de nouvelles créatures en Lui (Christ) et nous prépare pour le jugement. Leur enseignement nie qu'il soit possible à l'homme de remporter une victoire complète sur le péché avant de comparaître à la barre du jugement... Grâces soient rendues à Dieu car le processus de perfection est achevé avant que nous comparaissions en jugement ; s'il n'en était pas ainsi, nous serions dans une situation désespérée » (3).

Le « Defense Literature Committee » de la Conférence Générale accusait le « Réveil » de nier la puissance et la richesse présentes de l'Évangile :

« Nous avertissons nos membres bien-aimés de ne pas se laisser bercer par cette doctrine dangereuse. Selon elle, nous pouvons espérer - après nous être présentés devant le Juge de toute la terre, et avoir été trouvés en défaut - que Christ purifie le temple de notre âme par un miracle, afin de pouvoir être déclarés dignes de la vie éternelle » (4).

Brinsmead se plaignit que l'on ait sérieusement dénaturé sa pensée (5). Il soutenait que l'alternative n'était pas que l'on soit converti ou non-converti avant le Jugement, mais que l'on soit pécheur ou non-pécheur jusqu'au Jugement. Cependant encore en 1967, le « Defense Literature Committee » jugeait que l'enseignement du « Réveil » repoussait à plus tard « l'œuvre qui doit être accomplie aujourd'hui » (6). De toute évidence, c'est l'enseignement de Brinsmead qui mit au premier plan de la théologie adventiste, le problème du péché originel. Il est certain que W.H. Branson, dans Our Firm Foundation, l'ignorait pratiquement, quant à M.L. Andreasen, il affirmait sans équivoque que les adventistes ne croient pas à l'existence du péché originel (7). L'enseignement de Brinsmead concernant le péché originel, provient de la théologie de la Réformation. Cependant à ce point précis où en était sa pensée théologique, il ne pouvait aller aussi loin que Luther et Calvin. Il croyait en effet que la solution au problème posé par le péché originel, devait être en harmonie avec sa doctrine adventiste traditionnelle, relative à la dernière génération.

En dépit de l'altération par le perfectionnisme, de la pensée de la Réformation sur le péché originel, le message de Brinsmead fut ressenti par beaucoup comme une bonne nouvelle. Comme avant 1950, l'adventisme concevait la justification efficace uniquement pour les péchés du passé, et le salut à venir fondé sur le renouvellement intérieur et la transformation du caractère, encore qu'opérés tous deux par la puissance de Christ œuvrant en nous. Mais maintenant Brinsmead prêchait la toute-suffisance de la justice de Christ, et cela jusqu'au jugement où par un acte totalement gratuit, Dieu amènerait à la perfection la dernière génération. Rien d'étonnant à ce que par ce message (aux affinités évidentes avec l'Évangile de la Réformation) reconnaissant clairement la présence permanente du péché, et la nécessité des « dons de la grâce », la controverse suscitée par Brinsmead ait eu des répercussions considérables dans la période étudiée.

L'examen de la publication majeure éditée par le « Defense Literature Committee » contre Brinsmead pendant cette décennie (History and Teaching of Robert Brinsmead), montre clairement que l'on ne répondit pas au véritable défi doctrinal lancé par le Réveil. Elle contient un nombre incroyable d'attaques soulignant les faiblesses personnelles attribuées au « chef de la sédition » (8), et le péril que lui-même et « sa dangereuse doctrine » (9) faisaient courir à l'Église. Alors que la polémique intense, et les excès de langage qui l'accompagnent souvent soient concevables, de toute évidence une telle approche du problème ne servit pas la cause de l'église adventiste comme l'aurait fait une étude sérieuse des questions théologiques en jeu. L'argument efficace contre le Réveil allait venir des conceptions nouvelles de quelques théologiens éminents, tels que les professeurs Heppenstall, Ford, et LaRondelle.

L'aspect positif des années 1960

L'appréciation émise par David Mac Mahon sur l'adventisme des années 70 pourrait s'appliquer à la deuxième étape du conflit, entre les dirigeants de l'église et le mouvement Brinsmead dans les années 60.

La controverse théologique a été bien trop souvent considérée comme l'ennemi des réveils et de l'essor spirituel de l'Église de Dieu. Pour dire vrai, c'est souvent au plus fort des débats et de l'opposition, que l'Esprit de Dieu descend avec puissance sur son peuple (10).

L'effervescence des idées et l'agitation au sein de l'adventisme ne furent pas toutes négatives ; pour la première fois au cours de l'histoire du mouvement, un défi net était lancé à ceux qui croyaient en la possibilité d'atteindre ici-bas la perfection. Le professeur Edward Heppenstall publia un article en décembre 1963 (11) intitulé : « La perfection est-elle possible ? » (12) On sent souffler nettement l'esprit de la Réformation dans cette façon de voir :

Il est fatal de croire que si seulement nous pouvions devenir complètement soumis à Christ, la nature pécheresse serait extirpée. La loi du péché et de la mort continue à œuvrer en nous... La croyance fondamentale de la foi chrétienne est le salut par la grâce seule... Le salut par la grâce seule signifie que la perfection absolue et l'état sans péché ne peuvent être atteints ici et maintenant.

Le professeur Heppenstall est persuadé que l'égoïsme est l'essence même du péché. A ses yeux, la perfection (état sans péché) est « un effort fallacieux vers l'idéalisation du moi » (13), le « résultat de la recherche du moi », et a « pour conséquence l'adoration de certains aspects du moi » (14). L'idée de la perfection (état sans péché) « exerce une influence mortelle sur l'individu, et sur ses relations avec les autres » (15). Elle est un ferment de division pour l'Église, et de destruction du moi (16). Heppenstall concevait la perfection (état sans péché) comme incompatible avec la pensée biblique de la grâce. Il écrivait dans une brochure publiée par l'Association pastorale de la Conférence Générale, en supplément au Ministry (17) :

La Bible donne au mot grâce un seul sens : La grâce est la faveur éternelle et libre de Dieu, manifestée à l'égard du coupable et de l'indigne. La grâce est complètement étrangère à toute notion de valeur humaine, et de perfection (état sans péché). La grâce se manifeste là où le péché de l'homme existe, elle surabonde là où l'indignité de l'homme abonde. Les croyants en ont fait l'expérience, et la feront encore après la fin du temps de grâce ; la grâce salvatrice concerne les seuls pécheurs. Il nous faut distinguer entre la grâce attribut de Christ, et la grâce méthode de salut rendue possible par le sacrifice de Christ.

Heppenstall affirmait sans équivoque la réalité du péché qui persiste chez le croyant pardonné, jusqu'au retour de Christ (18). Brinsmead était dans l'erreur parce qu'il soutenait une réalisation de la perfection avant le second avènement ; Heppenstall disait : « ... Il n'y aura jamais dans la vie chrétienne un moment où le croyant pourra savoir qu'enfin, il a atteint l'état sans péché » (19).

Il n'est pas exagéré de dire que la réfutation par Heppenstall de la doctrine de Brinsmead, représente un sommet de la théologie adventiste (20). Il n'existe pas d'équivalent à cette démarche soit avant la période contemporaine, soit après le début des années 50. Il semble qu'Heppenstall put discerner la conclusion logique vers laquelle tendait l'accent mis par Brinsmead sur la Réformation, bien mieux que Brinsmead lui-même. Pendant un certain temps, Brinsmead ne put comprendre que le refus de la perfection par Heppenstall était la conclusion logique, inévitable, à laquelle conduisait son propre refus d'un perfectionnisme ici et maintenant.

Très vite, les théologiens adventistes adoptèrent la théologie d'Heppenstall (21). Au cours de la seconde moitié des années 60, la littérature adventiste foisonna d'articles niant la possibilité d'atteindre un état sans péché avant le retour du Christ (22). L'objet de ces articles était la réfutation de la position de Brinsmead concernant la réalisation de la perfection lors du jugement. Il ne faudrait pas que nous négligions de relever le tour intéressant pris par les événements à ce moment-là. Au début des années 60, l'opposition reprochait à Brinsmead de placer trop tard l'accomplissement de la perfection, on l'accusait de repousser jusqu'au jugement ce qui devait être réalisé maintenant. Il y eut ensuite une volte-face et Brinsmead fut en butte aux attaques parce qu'il plaçait la réalisation de la perfection morale, complète, trop tôt ! On l'accusait de placer lors du Jugement, ce qui ne pouvait avoir lieu qu'après le Jugement, c'est-à-dire au retour du Christ.

Il faudrait relever aussi la rupture nette d'avec la tradition adventiste. Les dirigeants de l'Église - par la voix du « Defense Literature Committee » et de quelques théologiens éminents, partisans de la nouvelle théologie d'Heppenstall - jetaient aux orties cent ans d'enseignement théologique adventiste ! Le perfectionnisme passionné de M.L. Andreasen dans ses livres The Sanctuary Service et The Book of Hebrews, l'accent perfectionniste de W.H. Branson, et le perfectionnisme latent de Questions on Doctrine, furent tous en des termes on ne peut plus clairs, boutés hors de l'adventisme par cette nouvelle théologie.

A cette époque, seuls les adeptes du « Réveil » étaient conscients qu'une rupture sans équivoque avec l'adventisme traditionnel venait de se produire. En réponse à la brochure du pasteur L.C. Naden, « The Perfecting of the Saints », Brinsmead lançait le défi suivant :

Je mets au défi le pasteur Naden de trouver dans les publications adventistes sérieuses, écrites avant l'actuel message de Réveil, une citation quelconque enseignant que les enfants de Dieu ne deviendront pas parfaits moralement et sans péché, avant que Jésus ne revienne sur les nuées des cieux. Simplement, ce ne serait pas de l'adventisme authentique (23).

Il semble que ce défi n'ait jamais été relevé, et cela n'est pas surprenant ; à la connaissance de l'auteur, il serait impossible de trouver un support à la position d'Heppenstall dans la théologie adventiste antérieure à 1950. Ce qui est surprenant, c'est le fait que le professeur Heppenstall ait pu enseigner une telle doctrine (et à l'évidence en entraîner d'autres à l'accepter), et cependant échapper à la condamnation des dirigeants. Fait plus surprenant encore : des organes officiels très écoutés, tels que le « Defense Literature Committee » et la Review and Herald, ont épousé le même enseignement sans soulever d'objections. Une étude de l'accueil réservé au livre Questions on Doctrine, révèle qu'il n'a pas joui des mêmes privilèges que ce nouvel enseignement, et pourtant ce n'était pas d'un problème secondaire dont Heppenstall et ses amis débattaient, car la croyance en la perfection de la dernière génération se situe au cœur de la théologie adventiste. La seule conclusion à laquelle nous conduit cette attitude est celle-ci : l'accueil sans réaction fait à l'anti-perfectionnisme d'Heppenstall révélait à quel point les dirigeants adventistes trouvaient embarrassant le défi lancé par Brinsmead. D'autre part ceux qui prennent aujourd'hui une position fidèle à la Réformation, sont portés à considérer la révolution opérée par Heppenstall comme un fait providentiel. L'adhésion révolutionnaire d'Heppenstall à une conception bien plus conforme à celle de la Réformation, aurait été impossible sans le combat de l'Église contre l'enseignement de Brinsmead.

On ne peut passer sous silence l'ironie de cette période. A l'époque de l'anti-perfectionnisme révolutionnaire d'Heppenstall, la « faction Brinsmead » (ainsi nommée par les dirigeants de l'Église) se montrait d'un conservatisme adventiste supérieur à celui du « Defense Literature Committee » de l'Église même. Parce que Brinsmead et ses amis ne voulaient pas rompre avec l'adventisme historique, ils résistaient opiniâtrement à l'insistance d'Heppenstall. En fait, l'attachement du « Réveil » à maintenir ce qu'il pensait être l'adventisme historique lui fit passer - dans la seconde moitié des années 60 - nettement au second plan de son enseignement, l'apport de la Réformation contenu dans sa théologie. Le souci du « Réveil » fut de défendre le perfectionnisme adventiste au lieu de faire de l'Évangile de la Réformation, l'objet de sa prédication (24). L'ironie de la situation, quand on considère le groupe Brinsmead, réside dans le fait que la dynamique de la Réformation dirigée par Heppenstall contre le perfectionnisme, affaiblit l'insistance mise par le « Réveil » sur l'Évangile, proclamé par lui avec tant de force au début des années 60.

En conclusion de cette esquisse des années 60, nous devons attirer l'attention sur l'acquis réalisé en vue d'accomplir le dessein du mouvement adventiste :

1. - L'existence du péché originel devint partie intégrante de la théologie d'Heppenstall et de Ford.

2. - La conséquence de cette position fut la répudiation sans équivoque de la possibilité de la perfection morale ici-bas - l'adhésion au simul justus et peccator (à la fois juste et pécheur) des Réformateurs.

Ces deux points marquent une progression vers la théologie de la Réformation, telle qu'il n'en fut pas vue de semblable dans l'histoire de l'église adventiste depuis son début.

Caractéristiques encourageantes des années 60

Un examen attentif des publications adventistes (en particulier de la Review and Herald) au cours des années 60, montre que l'Église s'efforçait de faire honneur à sa vocation d'héritière privilégiée des Réformateurs. On y trouve des avertissements réitérés à l'égard du légalisme, aussi bien que de nombreuses affirmations faisant dépendre l'avenir de l'Église, du rétablissement de la prédication authentique de la justification par la foi. Cette citation de R.S. Watts en est typique : « Il n'y a pas dans notre monde d'œuvre si grande et si glorieuse, si honorée de Dieu, que celle de l'Évangile de la justification en notre Seigneur Jésus » (25).

Dans son article « God's Way is Grace » (26), Watts reflète la perspective de la Réformation. A la différence de Questions on Doctrine, sa conception de la grâce ne s'insère pas dans la tradition de Saint-Augustin ni du concile de Trente, mais dans celle de la Réformation. Selon lui la grâce n'est pas une puissance régénératrice, mais « la faveur et la bienveillance aimante de Dieu... totalement gratuite, et imméritée ». Watts met même brièvement en contraste sa conception de la grâce et celle du catholicisme romain ; il écrit : « Le catholicisme romain enseigne qu'un homme est justifié, au moins en partie, par sa justice propre, infusée, inhérente, plutôt que par la justice divine, substitutive, imputée ». Dans sa conclusion, Watts dénonce avec conviction toute contribution des œuvres au salut de l'homme.

Watts étudia aussi le sujet de la justification, et il rejoignit sans équivoque la position des Réformateurs. La justification qui donne la vie éternelle nous est acquise par la justice imputée de Christ ; justification ne signifie pas « rendre juste », mais plutôt « déclarer juste ». La justice qui nous obtient la vie éternelle, c'est ce que Christ a fait pour nous, et non ce qu'il a fait en nous (27).

Dans la Review and Herald du 21 avril 1960, le professeur W. G. C. Murdoch s'éloigne aussi de la conception de la grâce telle qu'elle est exprimée dans Questions on Doctrine (28). Pour Murdoch, la grâce est la volonté bonne, et la miséricorde de Dieu, manifestées dans l'événement de Christ. Murdoch ne considère pas comme moyen et miracle de la grâce l'œuvre de Christ en nous, mais celle accomplie en dehors du croyant, au Calvaire.

Au sein de l'adventisme des années 60, Desmond Ford (29), un théologien australien, montra une adhésion ferme à l'optique de la Réformation. Après examen de son enseignement, il faut souligner qu'au sein d'une époque de mutation, Desmond Ford fait preuve d'une continuité digne d'admiration dans le droit fil de la théologie de la Réformation. Comme nous l'avons déjà mentionné, Ford était catégorique dans son affirmation de la doctrine du péché originel (30). Il l'enseigna sans variation dans les années 60 et 70 (31) ; avec la même énergie, Ford désavouait le perfectionnisme en tant que contraire à l'Évangile (32). De même il soutenait les conceptions protestantes de la justification déclarative (forensique) (33), et de la nature humaine sans péché de Christ (34). Non seulement il embrassa l'aspect évangélique de l'enseignement de Brinsmead des années 60, (Christ est notre justice, au ciel, au jour du Jugement) mais il traita aussi du perfectionnisme dans une optique appartenant nettement à la Réformation. Ainsi nous ne sommes pas loin de la vérité en disant que déjà dans les années 60, le professeur Ford a devancé le courant nettement réformé, courant qui devait apparaître dans l'adventisme au cours des années 70.

L'église adventiste croit que Dieu l'appelle à prêcher l'Évangile autrement que les autres communautés chrétiennes peuvent le faire, et les années 60 ont apporté encore d'autres preuves de l'effort qu'elle faisait pour rester fidèle à sa vocation. Par exemple, ce fut dans cette décennie que H. K. LaRondelle fit son doctorat à l'Université libre de Théologie d'Amsterdam sous la direction du théologien réformé G. C. Berkouwer. La thèse de LaRondelle fut publiée par la suite sous le titre « Perfection and Perfectionism : A Dogmatic-Ethical study of Biblical Perfection and Phenomenal Perfectionism ». L'étude est faite selon un point de vue nettement réformé.

Au début de ce chapitre, nous avons indiqué qu'en aucune manière la turbulente décennie des années 60 n'apporta un soutien net à l'Évangile de la Réformation ; la même source fournissait des données théologiques qui s'excluaient l'une l'autre. Nous avons réservé jusqu'à ce point du chapitre, d'autres traits encourageants de la production théologique de cette période, afin de les mettre en contraste avec des éléments opposés au point de vue de la Réformation. Alors que le « Defense Literature Committee » de la Conférence Générale était heureux (?) de publier la théologie révolutionnaire d'Heppenstall relative au perfectionnisme, il faisait paraître en même temps des documents de tendance diamétralement opposée à cette position. Le même comité qui avait imprimé le refus explicite d'Heppenstall concernant la perfection ici-bas, édita en 1967 (quelques quatre ans après le premier article d'Heppenstall sur la perfection), Basic Brinsmead Belief. Cette brochure écrite par Alan Starkey disait :

... dire que le principe corrompu du péché, la source du mal, la nature pécheresse, reste dans le subconscient du croyant jusqu'à l'expiation finale, repousse à plus tard l'œuvre qui doit être accomplie aujourd'hui. Une femme fut scandalisée quand j'insistai sur le fait que les péchés doivent être effacés aujourd'hui, elle croyait que c'était l'œuvre de l'expiation finale (35).

De même dans la Review and Herald, nous trouvons à la fois un soutien et une opposition au perfectionnisme (36). Certains de ses articles affirment la conception déclarative protestante de la justification (37), et d'autres incluent l'œuvre intérieure de la régénération dans la justification (38). H.L. Rudy est l'un des exemples les plus probants de cette dernière conception : La justification « c'est dans le cœur de ceux qui croient, la venue de l'Esprit du Christ qui change leur statut "d'enfant de colère" en celui "d'enfant de Dieu" » (39). Cependant pour Keneth H. Wood, la justification c'est le crédit de la justice de Christ porté à notre compte, une transaction légale opérée par Dieu (40).

Il faut dire que durant la décennie des années 60, la production théologique de l'adventisme va beaucoup plus dans le sens de la perspective catholique romaine, que dans celui de la Réformation (41). Même les auteurs les plus Protestants comme R. S. Watts, ont tendance à ne voir seulement dans la justification, que le pardon des péchés du passé, et à lui donner uniquement une portée initiale. Ceci revient comme le faisait l'adventisme d'avant 1950, à subordonner la justification à la sanctification. F.E. Brainard l'exprime ainsi :

Cet acte de justification est entièrement l'œuvre de Dieu. Ayant été purifié de la culpabilité, l'homme nouvellement converti est ainsi préparé à faire le pas suivant vers le ciel, et la vie éternelle (42).

E.E. Wheeler parle du danger de trop se reposer sur la justice imputée de Christ, et de ne pas chercher à lutter pour recevoir de plus en plus de justice communiquée, et avoir de moins en moins besoin de justice imputée pour couvrir les péchés passés ! (43). La subordination de la justification à la sanctification est exprimée encore par F. G. Clifford. Cet auteur écrit que si nous avons besoin de comprendre ce que Christ a fait pour nous, nous avons un besoin bien plus grand encore de lui laisser accomplir en nous, son œuvre efficace (44). Il est évident que s'il existe quelques aspects encourageants dans la présentation de l'Évangile de la Réformation au cours des années 60, les gains théologiques réels de cette décennie se situent dans l'affirmation du péché originel, et le rejet de la perfection ici-bas. Ce progrès significatif apparaît dans la théologie d'hommes tels que Edward Heppenstall, Desmond Ford, et H. K. LaRondelle.

Au terme de la décennie

Résumons cette décennie dont nous venons de parler. Pour une part, les années 60 continuent l'adventisme antérieur à 1950 ; la théologie adventiste de l'Évangile a toujours présenté dans une plus ou moins grande mesure, deux tendances fondamentalement incompatibles, celle du Concile de Trente et celles des Réformateurs. Cette situation demeure inchangée au cours des années 60. Les deux courants de pensée sont encore présents.

Cependant, malgré cette conformité avec l'adventisme antérieur à 1950, il existe aussi une différence : Les années 60 ont marqué une avance bien déterminée en sotériologie ; une doctrine solide du péché originel, et un refus de la perfection incluse dans le processus du salut, se sont affirmés à partir du progrès christologique des années 50. Ces deux conceptions étaient nouvelles dans la théologie adventiste.

Au cours des années 60, l'adventisme acquit non seulement une meilleure compréhension du sens de l'Évangile de la Réformation, mais en outre le message protestant - à cause du conflit doctrinal - occupa le premier plan avec plus de clarté et de puissance que jamais auparavant dans toute l'histoire de l'adventisme. Pendant cette période, l'Évangile de la Réformation a gagné du terrain dans la conscience adventiste.

En somme, et comme jamais auparavant, l'adventisme manifeste clairement son manque d'unité dans un domaine capital de sa théologie. Nous rappelons à nouveau l'opposition de l'Église à l'enseignement de Brinsmead, pour illustrer ce fait : On s'opposa au « Réveil » en vertu d'une croyance bien établie, en la possibilité d'atteindre la perfection ici-bas, maintenant. Mais on s'opposa aussi à lui en vertu d'un rejet catégorique de la possibilité d'atteindre la perfection avant le retour du Christ. Quelle fut la position « officielle » dans ce débat ? La seule réponse qui puisse être donnée est que l'adventisme officiel adopta les deux positions.

Le fait que l'adventisme officiel chercha à adopter publiquement les deux conceptions, jette une lumière intéressante sur la situation durant les années 60. Tous deux - l'adventisme officiel et Brinsmead - contenaient dans leurs systèmes théologiques, des éléments incompatibles. Brinsmead cherchait à réaliser une synthèse entre la justification par la foi seule de la Réformation, et la croyance adventiste traditionnelle en la perfection. L'adventisme officiel enseignait d'une part la possibilité d'atteindre la perfection ici-bas, maintenant, - position adventiste traditionnelle dans la ligne de pensée du Concile de Trente ; d'autre part l'impossibilité d'atteindre la perfection avant le retour du Christ - position inspirée à la fois par la théologie de la Réformation, et le progrès christologique de Questions on Doctrine.

La fin de la décennie 1960 laisse l'adventisme officiel et le groupe Brinsmead en plein conflit, mais le conflit existe aussi au sein de l'adventisme officiel entre les deux positions théologiques dont nous venons de parler. Il nous reste à savoir comment dans la prochaine décennie ces conflits seront résolus, et ce qu'il adviendra alors de l'Évangile de la Réformation.


Notes du Chapitre 6




7. Progrès et régression : les années 1970

La décennie commençant en 1970 est la période où pour la première fois, deux conceptions cohérentes de l'Évangile se développent dans l'adventisme. Le premier courant permet à la christologie édifiée dans les années 50, et à la sotériologie établie dans les années 60, d'atteindre leurs conclusions logiques. Le second courant abandonne ces acquis et régresse à la situation de l'adventisme précédant 1950. Cette dichotomie place l'adventisme devant une crise sans précédent. Nous allons maintenant retracer les étapes de ce développement surprenant.

Brinsmead se rend aux arguments d'Heppenstall et de Ford

Au début de 1970, Robert Brinsmead et ses collègues furent amenés à étudier sérieusement les tenants et aboutissants de la Réformation, et les implications de la théologie de l'apôtre Paul. En comparant la théologie des Réformateurs et la théologie catholique romaine, Brinsmead comprit le fond du débat du XVIe siècle, en particulier la signification et les implications de la doctrine de la justification par la foi seule. La redécouverte de l'Évangile prêché par la Réformation bouleversa le système de pensée de Brinsmead (1). Il comprit pour la première fois le sens réel de la justification par la foi seule, sa primauté, la place centrale qu'elle doit occuper, sa toute-suffisance. Il comprit clairement ce que Luther voulait dire en appelant la justification, « l'article sur lequel l'Église se fonde ou s'effondre ». (Justificatio articulus stantis aut cadentis ecclesiae)

Jusqu'alors, Brinsmead et ses collègues avaient interprété l'enseignement de la Réformation à la lumière des points de vue particuliers de l'adventisme ; à partir de ce moment-là ils se mirent à examiner le point de vue adventiste à la lumière du message de la Réformation. Brinsmead comprit que tout développement spirituel ultérieur à la Réformation devait être solidement établi sur elle, et non pas en opposition avec elle. Tout apport de l'adventisme devait être en harmonie avec l'enseignement central de la Réformation, à savoir l'Évangile de la justification par la foi seule.

La redécouverte par Brinsmead de la justification par la foi seule, eut les conséquences théologiques suivantes :

1° Brinsmead fut forcé de se rallier au point de vue d'Heppenstall, de Ford et d'autres, sur la question de la perfection. Il comprit que le perfectionnisme qu'il avait prêché jusqu'alors, bien que mitigé (c'est-à-dire proclamant une perfection future à recevoir lors du jugement, et non pas avant celui-ci), ne pouvait cohabiter avec la justification par la foi seule. C'est la lecture de Niebuhr qui lui apprit que la justice dont parlait les Réformateurs était une justice de la foi, qu'en elle seule ils avaient compris leur véritable état de péché et trouvé le salut, et non en une quelconque justice tangible, palpable, à acquérir en cette vie. Heppenstall et Ford avaient raison : il ne peut y avoir de perfection avant le retour de Christ.

A la lumière de l'Évangile tel qu'il avait été prêché par les Réformateurs, Brinsmead et ses collègues parvinrent à la conclusion que la conception adventiste traditionnelle de la « justice qui s'obtient par la foi », était en harmonie avec la théologie catholique romaine, et non avec celle des Réformateurs. Comme nous l'avons déjà souligné amplement, l'adventisme traditionnel présente la justification comme le pardon des péchés du passé, étape préliminaire à la régénération et à la sanctification, grâce auxquelles un individu serait acquitté lors du jugement. La justice qui s'obtient par la foi, pour l'adventisme traditionnel, comprend à la fois la justification et la sanctification. Brinsmead fut convaincu - grâce à Luther, Calvin et Chemnitz - que l'expression « justice de Dieu par la foi » signifie exclusivement justification. Il comprit que le mode de pensée de l'adventisme traditionnel aboutissait à confondre la loi et l'Évangile, à asseoir la confiance des croyants sur le développement de leur caractère et sur leur renouvellement intérieur, plutôt que sur une justice extérieure à eux, pour être agréés de Dieu. L'aboutissement inévitable d'une telle conception était la nécessité de la perfection dans cette vie. Brinsmead en conclut que le point de mire de l'adventisme traditionnel, du fait de cette conception faussée de la « justice qui s'obtient par la foi », est l'homme sanctifié - un repli sur soi ô combien redoutable.

3° A la lumière de la justification par la foi en la justice de Christ, extérieure à l'homme, Brinsmead fut amené à remettre en question son eschatologie de type adventiste traditionnel. Au cours des années 60, il avait essayé de faire cohabiter dans un même système théologique, la croyance au péché originel, et celle d'une perfection qui serait octroyée aux croyants lors du jugement. Dès lors, à la lumière de l'Évangile prêché par l'apôtre Paul et par les Réformateurs, son perfectionnisme eschatologique lui apparut comme un expédient destiné à résoudre le problème du péché originel, de manière à contourner la nécessité de l'obéissance active et passive de notre substitut, Jésus-Christ à la fois divin et humain. Le perfectionnisme eschatologique de Brinsmead aura constitué une tentative de solution au problème de la nature pécheresse de l'homme, mais l'Évangile proclamé par les Réformateurs lui apprit que la justification par la foi dans les mérites de Christ était la seule méthode efficace pour résoudre ce problème du péché originel (2). Dans l'adventisme traditionnel, la justification, considérée comme étape initiale et incomplète sur le chemin du salut, devait préluder à un renouveau intérieur qui seul permettrait à Dieu d'accepter l'homme, alors que pour Brinsmead, l'idée d'un renouveau à obtenir lors du jugement n'avait jamais constitué qu'une concession à la justification, dont il n'avait certes pas encore compris toutes les implications, et qu'il dénaturait de ce fait (3). Selon lui, il fallait maintenant abandonner cette position ; il comprit que la justification était l'ultime verdict de Dieu, que l'homme doit s'approprier par la foi.

Pour Brinsmead, cela voulait dire que le caractère final de la justification impliquerait que celle-ci ne peut dépendre de la sanctification, contrairement à ce qu'affirme la théologie adventiste traditionnelle. Le croyant trouve l'assurance de son salut dans la proclamation de la justification, qui est aussi le seul objet de ses désirs. Comme le psalmiste, le croyant aspire au jugement, non pas pour être jugé lui-même, mais parce que ce jugement confirmera le statut dont il jouit dès à présent par la foi.

4° Brinsmead et ses collègues affirment que cette découverte les a amenés à s'intéresser non plus à eux-mêmes, mais à autrui. Avec l'irruption de l'Évangile proclamé par l'apôtre Paul, leur sectarisme s'évanouit, Brinsmead se mit à rechercher la communion avec le peuple de Dieu partout où il se trouve. Parallèlement, avec ses compagnons il fit une démarche auprès de ses frères adventistes pour confesser ses erreurs, et travailler à une réconciliation (4). Témoignage de la nouvelle orientation de Brinsmead, la revue Present Truth (à laquelle succédera Verdict) choisit comme objectif explicite de rappeler aux protestants le message fondamental de la Réformation, et de leur montrer à quel point ils s'en étaient éloignés.

La capitulation de Brinsmead : une menace plus dangereuse encore !

Le lecteur ne manquera pas de remarquer l'ironie contenue dans le sous-titre qui précède. Pendant le conflit des années 60, les dirigeants de l'église adventiste avaient pris l'habitude de se tourner vers Heppenstall et vers Ford pour trouver des arguments à opposer à l'enseignement de Brinsmead. Lorsque celui-ci adopta leur avis, on aurait donc pu s'attendre à ce que les dirigeants se réjouissent, mais l'inattendu, l'incroyable, se produisit : ils considérèrent Brinsmead comme plus dangereux que jamais !
Au sein de l'adventisme, la revue Present Truth suscita des réactions opposées ; Desmond Ford, professeur à Avondale en Australie, et L.C. Naden, ancien président de la Division australasienne, considérèrent que la nouvelle position théologique de Brinsmead allait dans la bonne direction. En fait, elle venait conforter leurs propres positions concernant la perfection. Mais bientôt l'alarme retentit depuis le quartier général de l'Église à Washington, Kenneth Wood et Herbert Douglass, les rédacteurs de la Review and Herald, se mirent à multiplier les articles piétistes du type « La vie victorieuse », « Un peuple sans péché », « La dernière génération victorieuse du péché, apportant la preuve que l'exemple de Christ peut être reproduit », et « La nature pécheresse de Jésus ».

Des professeurs de théologie de la Division Australasienne s'alarmèrent du ton perfectionniste de la Review and Herald, et de la liquidation de la christologie professée par le livre Questions on Doctrine dans les années 50. En Amérique du Nord, le Dr Heppenstall ainsi que d'autres théologiens de l'Université d'Andrews exprimèrent également leur mécontentement devant le perfectionnisme de la Review and Herald, et regrettèrent que celle-ci se mette à affirmer que Jésus était doté d'une nature humaine pécheresse.

Deux groupes antithétiques se constituent

S'il subsistait le moindre doute concernant l'attitude des dirigeants de l'église adventiste concernant la nouvelle prédication de Brinsmead, celui-ci fut dissipé en 1974 avec la parution d'un numéro spécial de la Review and Herald sur le sujet de la justice par la foi (5). Ce numéro spécial prenait carrément le contre-pied de l'enseignement de Brinsmead, et définissait la justice qui s'obtient par la foi comme étant

... plus et mieux qu'une doctrine, c'est une communion spirituelle orientée vers un but. Peu importe après tout la manière dont nous définissons la doctrine, l'essentiel pour nous est de tourner le dos au péché, et de laisser le Christ vivre en nous (6).

C'était une critique à peine voilée de la manière dont la revue Present Truth présentait la justification par la foi, manière jugée trop intellectuelle dans sa démarche. Dans le même numéro spécial de la Review and Herald, Don Neufeld décrit la justice qui s'obtient par la foi comme étant une « expérience » (7), et le « il n'y a pas de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ » de Romains 8 est interprété en harmonie avec le Concile de Trente (8). C. Mervyn Maxwell déclare sans équivoque : « La justification par la foi (littéralement : la justice qui s'obtient par la foi) n'est pas simplement le pardon des péchés, c'est bien davantage, c'est la victoire sur le péché » (9). On pourrait citer d'autres passages pour montrer que la Review and Herald maintient la définition adventiste traditionnelle de la justice qui s'obtient par la foi, c'est-à-dire que celle-ci inclurait à la fois la justification et la sanctification (10). On peut dire sans crainte d'exagération que ce numéro spécial est entièrement axé sur la sanctification et sur le développement du caractère, son point de mire est le croyant : c'est un écrit de type hagiographique, c'est-à-dire dont le but est de faire l'apologie des saints (11).

Herbert Douglass est le champion dans les années 70, de la résurgence du perfectionnisme préconisé par Andreasen et par Branson. Toujours dans le même numéro spécial de la Review and Herald, il expose « Pourquoi Dieu temporise t-il ? ». Douglass répond à sa propre question en prétendant que « Dieu escompte la révélation d'un peuple de croyants dont la vie apportera la preuve qu'à l'exemple de Jésus... il est possible de vaincre le péché par la puissance du Saint-Esprit... Grâce au même soutien qui fut accordé à Jésus par la foi (harmonie entre la confiance et l'obéissance), d'autres hommes... ont la faculté de vivre eux aussi sans péché » (12). Douglass conclut : « Maintenant, Dieu compte sur vous (litt. : Dieu attend un tel peuple) » (13). Le lecteur aura reconnu le perfectionnisme des années 60 (la perfection possible ici-bas, maintenant) qui caractérise donc le point de vue de la Review and Herald dans les années 70, et par voie de conséquence, celui de l'Église.

Quelques semaines après la diffusion en Australie du numéro spécial de la Review and Herald, Brinsmead fit paraître une brochure intitulée « Déclaration à mes amis adventistes » (14). Sans mentionner expressément la Review and Herald, il mettait en garde contre l'idée que la sanctification ferait partie de la justice qui s'obtient par la foi, telle que l'apôtre Paul l'avait prêchée. Brinsmead soutenait que la justice qui s'obtient par la foi ne concerne en rien ce que nous pouvons accomplir ou ressentir, et qu'elle ne peut donc jamais devenir un attribut de l'homme. La justice dont il est question dans l'expression « justice de Dieu par la foi » consiste exclusivement dans les mérites de Christ, c'est à dire ceux qu'il s'est acquis pas sa vie et sa mort parfaites, et qui sont considérés comme les nôtres lorsque nous avons foi dans le verdict miséricordieux de Dieu. Brinsmead affirmait que cette position était conforme à celle des Réformateurs du XVIe siècle, et à celle des protestants qui sont restés fidèles à leur prédication pendant quelque quatre cents ans. Affirmer que la sanctification constitue la « justice qui s'obtient par la foi », équivaut à donner raison au Concile de Trente contre la Réformation protestante.

Dans la mesure où le numéro spécial de la Review and Herald reflète la position des dirigeants de l'église adventiste - et les développements ultérieurs montrent que c'est le cas - nous sommes dans l'obligation d'affirmer que l'ambiguïté qui avait caractérisé la position des dirigeants dans les années 60 a été complètement levée. La direction de l'Église qui prêchait à la fois une perfection qui devait être atteinte en cette vie, et une perfection qu'il est impossible d'atteindre en cette vie (suivant en cette dernière position, Heppenstall et Ford), s'est ralliée maintenant à l'idée d'une perfection à atteindre ici-bas au plus vite ; ceci ne va pas sans poser de problèmes aux professeurs adventistes de théologie. Quelle était la motivation des dirigeants de l'Église dans les années 60 lorsqu'ils approuvaient l'enseignement d'Heppenstall et de Ford ? Pourquoi cet enseignement a-t-il été abandonné ? On peut se poser la question de savoir pourquoi les dirigeants de l'Église prêchent maintenant le perfectionnisme qui était précédemment celui de Brinsmead, à savoir la nécessité d'une dernière génération absolument parfaite, depuis que Brinsmead s'est rallié à l'anti-perfectionnisme préconisé par les dirigeants dans les années 60. Qu'est-ce qui a poussé les dirigeants à adopter la position de Brinsmead ? Essayer de répondre à ces questions pourrait nous entraîner au-delà de notre propos, nous nous contenterons simplement de constater ces revirements pour le moins étranges.

Les années 70 constituent une décennie où deux théologies antithétiques coexistent dans l'église adventiste. D'une manière ou d'une autre, la théologie de Brinsmead a toujours produit un écho au sein de l'adventisme, surtout dans les années 60. Mais dans les années 70, grâce à une meilleure compréhension de la justification par la foi, et une meilleure définition de la nature du perfectionnisme, elle s'est purifiée des éléments hétérogènes qui la dénaturaient. Il en est de même pour la théologie des dirigeants de l'église adventiste : la théologie dont la Review and Herald s'est faite le prédicateur, a toujours été latente dans l'adventisme, mais elle émerge dans les années 70 débarrassée de l'anti-perfectionnisme qui l'empêchait d'aller jusqu'au bout de sa logique.

En outre, ces deux théologies ne s'étaient jamais trouvées dans un tel rapport d'opposition avant aujourd'hui, chacune est maintenant purifiée des éléments qui appartiennent en toute logique à l'autre. Donc dans la décennie commençant en 1970, se constituent deux pôles d'attraction antithétiques concurrents, luttant chacun pour obtenir l'adhésion des membres d'Église.

Au début de ce chapitre nous avons dit que la relation entre ces deux théologies est actuellement très différente de ce qu'elle était au cours des deux décennies précédant 1970. La prédication actuelle de Brinsmead, tant à l'usage externe qu'interne à l'église adventiste, est en harmonie avec les acquis dans les domaines de la christologie au cours des années 50, et avec les acquis de sotériologie dans les années 60. En revanche la théologie développée par la Review and Herald à partir de son numéro spécial, se voit dans l'obligation de court-circuiter vingt années de progrès théologiques dans l'église adventiste. Elle se débarrasse d'un large coup de balai, à la fois des acquis christologiques des années 50, et des acquis sotériologiques des années 60. Ainsi comme nous le verrons, le Dr Herbert Douglass tente de prouver que le livre Questions on Doctrine, est comme M.L. Andreasen l'avait qualifié, un odieux traité hérétique. Et les éditorialistes de la Review and Herald de rejeter explicitement la doctrine du péché originel, et de manifester leur désaccord avec l'anti-perfectionnisme qu'un nombre croissant de partisans proclame.

« L'équipe Ford-Brinsmead » (15)

En 1975, Madame Desmond Ford fit paraître un article intitulé : The Soteriological Implications of the Human Nature of Christ (les conséquences sotériologiques de la nature humaine de Christ) (16). Il contenait en appendice une série de questions, suivies des réponses de Desmond Ford. Il était clair que ce texte représentait la conception du département de théologie du collège d'Avondale (Australie). Le document prenait position sur les trois sujets controversés :

1) Dans le domaine de la christologie, il réaffirmait que Christ avait revêtu l'humanité sans toutefois acquérir de nature pécheresse, et rejetait explicitement la doctrine qui prétend que Jésus aurait en tant qu'homme, une nature pécheresse.

2) Dans le domaine de la sotériologie, l'article réaffirmait que la justice qui s'obtient par la foi se rapporte exclusivement à la justification.

3) Enfin concernant la question du perfectionnisme, l'article rejetait catégoriquement la possibilité de la perfection en cette vie.

Ce document provoqua des réactions enflammées chez certains laïcs influents, et certains ouvriers retraités de l'organisation en Australie. Les dirigeants de l'Église aux Etats-Unis et en Australie convoquèrent une conférence d'administrateurs et de théologiens, pour résoudre le problème. Cette conférence se réunit à Palmdale en Californie, du 23 au 30 avril 1976. Ceci n'empêcha pas un groupe important de dirigeants australiens de se réunir auparavant à Avondale les 3 et 4 février, pour entendre ce qu'un groupe conduit par J.W. Kent avait à dire contre Desmond Ford. L'accusation principale concernait la position de D. Ford à propos de la justice qui s'obtient par la foi. Voici le réquisitoire contre Desmond Ford tel qu'on peut le lire dans un document écrit par F.A. Basham pour la circonstance :

Nombreux sont ceux qui trouvent qu'il n'y a pas de différence entre l'enseignement contenu dans le document (de Ford) et l'enseignement de Robert Brinsmead. Le Département de théologie et Brinsmead affirment les mêmes choses comme étant vraies, et dénoncent les mêmes choses comme erronées. Le document du Département de théologie prétend que c'est le propre d'un faux évangile que d'affirmer que l'œuvre du Saint-Esprit fait partie de « la justice qui vient de la foi ». Brinsmead déclare qu'il s'agit de « catholicisme romain à peine déguisé ». Les deux affirmations témoignent d'une hostilité à l'égard de l'enseignement de l'Eglise (17).

Le pasteur Basham voyait clairement la situation lorsqu'il affirmait : « Il y a donc opposition manifeste entre ce que Desmond Ford enseigne à Avondale, et ce que nos frères américains enseignent » (18). Il n'y a aucun doute possible : Basham a évalué correctement la situation théologique. Ford préconise une théologie très différente de celle de la Review and Herald. Et Basham de poursuivre :

La situation actuelle dans l'Église peut se résumer ainsi : Si l'interprétation proposée par le manuscrit émanant du Département de théologie d'Avondale est correcte, alors la position historique de l'église adventiste est erronée. Les deux points de vue sont incompatibles (19).

Le pasteur Basham a mis le doigt sur l'alternative à laquelle l'église adventiste est confrontée aujourd'hui. Bien sûr, les points de vues que Basham désigne comme « corrects » et « erronés » devront être désignés comme tels en fonction de la finalité que le mouvement adventiste s'est attribuée à lui-même : achever l'œuvre commencée par la Réformation avec une puissance et une clarté sans précédent.

En associant le nom de Ford à celui de Brinsmead, Basham veut sous-entendre que Ford est devenu un zélateur de la théologie de Brinsmead (20). Les faits tels que nous les avons établis au cours de notre recherche concernant les années 50 et 60, ne permettent pas une telle conclusion. Comme nous l'avons amplement souligné, Ford enseignait déjà les éléments fondamentaux de cette théologie, avec l'approbation apparente des dirigeants de l'Église pendant les années 60. Bien plus, les dirigeants de l'Église avaient eux-mêmes enseigné certains aspects de cette théologie. En outre la conception de la nature du Christ que Ford enseigne est en harmonie avec celle établie dans l'Église dans les années 50. L'idée assez répandue, reprise par Basham, que Ford se serait démarqué de l'adventisme pour se rallier dans les années 70 à la théologie de Brinsmead, ne résiste pas à l'examen. Tout au plus pourrait-on dire que la redécouverte de l'Évangile par un homme tel que Brinsmead, et son expression dans la revue Present Truth, amena Ford à tirer toutes les conséquences de sa conception de la justification par la foi seule. Donc, Basham ne rend pas justice à la position du professeur d'Avondale lorsqu'il affirme : « Il faut s'opposer avec une détermination inébranlable à un tel abandon (c'est-à-dire à la théologie de Ford) de la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes » (21). Dans ses articles principaux en tout cas, l'enseignement de Ford avait été transmis aux saints par les dirigeants de l'Église, dans le livre Questions on Doctrine, et dans leur polémique contre Brinsmead dans les années 60.

La conférence de Palmdale fut caractérisée par un désaccord concernant la nature humaine de Christ, et la signification de la justice qui s'obtient par la foi (22). Cependant Desmond Ford retourna en Australie, convaincu de l'adhésion de la conférence à la position biblique, à savoir que la justice qui s'obtient par la foi se rapporte exclusivement à la justification. De leur côté, certains délégués d'Amérique du Nord s'en retournèrent chez eux tout aussi convaincus qu'à Palmdale, la position adventiste traditionnelle sur la justice qui s'obtient par la foi avait été réaffirmée (23).

Pendant quelques temps après la conférence, on ne sut pas très bien jusqu'à quel point les délégués de la Review and Herald soutenaient la position de Desmond Ford, à savoir que la justice qui s'obtient par la foi concerne la justification seule. Mais Ford était certain que c'était là la concession majeure qui avait été faite à Palmdale. Pour lui, il s'agissait d'une grande première dans l'histoire de l'adventisme (24). Un véritable débat s'engagea en Australie, bien que beaucoup de membres d'église ne fussent pas conscients de son arrière-plan polémique. Les avis étaient très partagés sur la question ; Ray Martin dans l'Objective Digest Report (1976) écrivit :

Certains considèrent que la doctrine de Ford contient en germe la destruction de tout ce que l'adventisme a enseigné, et la considèrent comme « l'oméga de l'apostasie », tandis que d'autres la considèrent comme les premiers rayons de la vérité qui doit éclairer la terre avec la gloire de Dieu, et sont convaincus qu'enfin l'adventisme a atteint sa maturité.

Mais bientôt il devint évident que certains rédacteurs influents de la Review and Herald n'avaient pas accepté la position de Ford sur la justice obtenue par la foi. Le rédacteur en chef de la Review and Herald, Kenneth H. Wood, et le président de la Conférence Générale, Robert H. Pierson, firent connaître leur avis. Wood cite la Seventh-day Adventist Encyclopedia, celle-ci affirme que la justice qui s'obtient par la foi inclut à la fois la justification et la sanctification (25), et il continue en disant : « La conférence de Palmdale est en accord avec cette affirmation » (26). Plus loin, il dit encore :

Il est normal que nous affirmions... que ceux qui considèrent que la sanctification fait partie de la « justice qui s'obtient par la foi », nous semblent mettre davantage l'accent sur la sainteté de vie, que ceux qui affirment le contraire. De même ils mettent l'accent sur la nécessité de coopérer avec Dieu au plan du salut, ceci vient peut-être du fait qu'ils considèrent l'Évangile non seulement comme une bonne nouvelle concernant le nouveau statut que l'homme repentant peut obtenir, mais encore comme une puissance qui peut transformer les pécheurs (27).

Dans d'autres articles concernant Palmdale (28), Wood explique comment il comprend l'Évangile. Il écrit :

Nous estimons qu'il est important de comprendre que l'Évangile (la Bonne nouvelle) n'est pas seulement la proclamation de ce que Christ a fait dans le passé pour sauver le monde perdu, c'est aussi l'annonce de ce que Christ veut accomplir, et qu'il est capable d'accomplir dans le temps présent. Ce n'est pas seulement une proclamation concernant Bethléem et le Calvaire, c'est aussi l'affirmation que le sauveur est vivant, un sauveur capable de sauver parfaitement (Hébr.7:25), qu'Il peut sauver non seulement de la condamnation du péché, mais encore de la puissance du péché (Tite 2 : 11-14), qu'il fait beaucoup plus que pardonner : qu'Il purifie du péché (1Jean 1:9), qu'Il est capable de nous empêcher de succomber à la tentation (Jude 24), qu'Il plaide en notre faveur dans le sanctuaire céleste (Hébr.8:1-2) (29).

Le président de la Conférence Générale, Robert H. Pierson, apporte sa contribution au débat dans un article intitulé : « Qu'est-ce que la justice qui s'obtient par la foi ? » (30). Pierson se réfère comme Wood, à la définition de l'Encyclopédie adventiste pour dire :

Ces mots nous permettent de voir clairement que l'église adventiste proclame les deux phases ou étapes du don de la justice de Dieu par la foi. La première est un don instantané désigné par le terme de justification... qui est la justice imputée de Jésus... et puis la paix et la joie en Christ qui en découlent... La seconde phase est l'expérience de toute une vie au service de Christ (31).

Au moins deux choses devinrent évidentes après la conférence de Palmdale : 1) Palmdale n'avait rien résolu. Malgré un préambule affirmant que l'adventisme n'a jamais défini clairement la justice qui s'obtient par la foi, le document final de la conférence a pour effet de perpétuer la situation plutôt que de la corriger. 2) l'apport de Brinsmead à la théologie de Ford devint évident. Comme nous l'avons déjà fait remarquer, l'affirmation que Ford serait devenu un disciple de Brinsmead ne résiste pas à l'épreuve des faits ; il serait tout aussi possible d'affirmer que Brinsmead est devenu un disciple de Ford. Toutefois il devint apparent après Palmdale, que Present Truth la revue de Brinsmead, amena Ford à radicaliser sa définition de la justice qui s'obtient par la foi dans le sens de la Bible et des Réformateurs, c'est-à-dire dans le sens exclusif de justification. Brinsmead apprit à Ford à considérer la conception adventiste de la justice qui s'obtient par la foi à la lumière de la Réformation, et non plus la position de la Réformation à la lumière des définitions adventistes. Pour Ford, cela signifiait que non seulement l'expression « justice de Dieu par la foi » signifiait exclusivement justification, mais encore qu'il devait subordonner toute éthique et toute conception doctrinale à la souveraineté de la justification par la foi (32). La lecture de Present Truth n'amena donc pas Ford à modifier sa conception fondamentale, mais certainement à radicaliser celle-ci.

Palmdale alimenta la controverse au sein de l'adventisme au sujet du sens que la Bible et la Réformation donnent de « la justice qui vient de la foi ». De nombreux adventistes qui avaient été ignorants jusqu'alors de l'alternative, prirent position en fonction de leurs convictions. Le conflit atteignit un nouveau degré avec la publication du Questionnaire de l'école du Sabbat pour avril, mai et juin 1977, intitulé Jésus, l'homme modèle (33). Si certains adventistes avaient pu nourrir le moindre doute concernant la position des dirigeants américains actuels au sujet du livre Questions on Doctrine, et au sujet de la sotériologie des années 60, ce questionnaire dissipa les doutes une fois pour toutes.

Dans ce questionnaire, Herbert Douglass expose l'idée que la Deuxième Personne de la Divinité se débarrassa de ses attributs et pouvoirs divins (34). « Notre Modèle n'est pas simplement un exemple qui nous sollicite, et qui ne saurait être atteint » (35). Jésus était radicalement humain et possédait la nature pécheresse commune à tous les hommes. Par conséquent, Il est qualifié pour être notre Exemple, et l'Évangile réside dans le fait qu'il a apporté la preuve de la possibilité de surmonter le péché, et de vivre exactement (sans péché) comme Lui (36). Ce questionnaire jeta l'émoi dans les milieux adventistes. M. G. Townend (Directeur du département de l'école du Sabbat de la Division australasienne) écrivit au président Pierson, et obtint en réponse les lignes suivantes parmi d'autres : « J'ai personnellement examiné les leçons ces derniers jours, et j'ai profité spirituellement des idées qu'elles contiennent » (37).

Selon l'usage, le questionnaire fut envoyé pour examen aux spécialistes de théologie pour modifications éventuelles ; les théologiens de la Division australasienne furent pleins d'appréhension, et cherchèrent à empêcher sa publication. Le président de la Conférence Générale affirma aux dirigeants d'Australie, que bloquer le texte à ce stade ne ferait qu'aggraver la situation. Le questionnaire fut donc envoyé aux églises adventistes à travers le monde, et provoqua les protestations de pasteurs, de théologiens, et de simples membres d'église. Evoquons par exemple la lettre ouverte de Victor P. Kluzit (38), « A mes frères du ministère », et la critique du questionnaire enregistrée par le Dr Richard Neis, qui ne craint pas d'utiliser le mot d'hérésie (39). Kluzit invite les dirigeants à se repentir, et le Dr Neis se demande si certaines des conceptions exprimées par l'auteur du questionnaire a propos de Christ « ne frisent pas le blasphème ». Un pasteur australien, Max Hatton, considère que ce questionnaire « n'est pas vraiment protestant », et déplore la conception superficielle de la nature du péché (40).

Nombreux sont les simples membres d'église n'y comprenant pas grand-chose, pasteurs et théologiens ne s'accordent pas sur la signification de l'Évangile. A cela s'ajoute la confusion créée par le fait que l'enseignement des années 70 (41) contredit le contenu des ouvrages qui avaient été considérés comme fondamentaux pendant les deux décennies précédentes, par exemple Questions on Doctrine.

Eclatement de la synthèse

Jusqu'en 1970, la conception adventiste de l'Évangile était une synthèse d'éléments protestants, et d'éléments catholiques romains. C'est cette synthèse qui permettait à tous les théologiens adventistes de se retrouver unis dans leur formulation de l'Évangile. Cette synthèse était perceptible même chez les théologiens les plus proches du point de vue de la Réformation, tels qu'Heppenstall, Ford, et LaRondelle. Lorsque l'on fait la synthèse de la justification et de la sanctification, comme au Concile de Trente, la sanctification finit inévitablement par l'emporter, et par engloutir la justification. C'est pourquoi avant les années 70, la sanctification est le centre d'intérêt qui l'emporte sur la justification ; cela demeure vrai pour ceux qui persistent à maintenir la synthèse après 1970.

Cette synthèse de la justification par la foi et de la sanctification, constituait le point faible des arguments qu'Heppenstall, Ford et LaRondelle, avaient opposés à Brinsmead dans les années 60 (42). Bien que ces théologiens aient pris une position nettement anti-perfectionniste dans leur polémique contre Brinsmead, le fait qu'ils opéraient continuellement la synthèse entre la justification et la sanctification pour définir la justice qui s'obtient par la foi, rendait leur anti-perfectionnisme peu crédible. Pour preuve, il suffit de se rappeler que Brinsmead pouvait invoquer la tradition adventiste au secours de ses thèses perfectionnistes. Tant qu'il était convaincu que la sanctification faisait partie de l'Évangile, on ne pouvait le faire démordre de la nécessité de la perfection dans cette vie.

Les événements des années 70 viennent confirmer cette conclusion. Il semble que Ford ait profité de l'enseignement des années 60, et soit parvenu à distinguer radicalement la justification par la foi, et la sanctification (43). Il reste encore à Heppenstall et à LaRondelle de prouver qu'ils ont fait éclater l'amalgame eux aussi (44). Il n'est donc pas surprenant que leurs arguments anti-perfectionnistes n'aient pas la force de persuasion nécessaire pour aider leurs compagnons adventistes à renoncer à l'idée d'une « dernière génération » qui guérie du péché, n'aurait plus besoin des mérites du Médiateur (45). L'élément nouveau dans la perception adventiste de l'Évangile dans les années 70, est l'éclatement de la synthèse de la justification par la foi et de la sanctification, dans la définition de la justice qui s'obtient par la foi. C'est la première fois que cette rupture se produit dans l'adventisme (46). Et là où cela se produit, il y a un retour radical à l'Évangile cher aux Réformateurs.

Depuis 1970, Brinsmead n'a jamais cessé de souligner la primauté de la justification, et de s'en prendre à tout ce qui risque de dévaloriser cet article de la foi chrétienne (47). Pour Brinsmead comme pour Ford, la justification est au cœur de l'Évangile proclamé par l'apôtre Paul et par les Réformateurs. Et pourtant, alors que Brinsmead et Ford font éclater la synthèse entre la justification par la foi et la sanctification, d'autres travaillent expressément à la maintenir.

L'adventisme aujourd'hui

Nous allons maintenant examiner la place que l'adventisme accorde à l'Évangile de la Réformation à ce tournant de son histoire. Nous avons vu qu'avant 1950 dans la théologie adventiste, la justification avait un statut fort limité ; pour les adventistes, la justification ne concernait que les péchés passés. Qu'en est-il de l'adventisme aujourd'hui ?

Le président de la Conférence Générale des adventistes du septième jour, le pasteur Robert H. Pierson, cite en l'approuvant l'extrait de la revue Signs of the Times de 1874 que voici : « Nous dépendons de Christ, d'abord pour la justification concernant nos péchés passés, et deuxièmement pour la grâce qui nous permet ensuite d'obéir à sa sainte loi d'une manière acceptable » (48). La tendance à subordonner la justification à la sanctification se manifeste le plus fortement dans le numéro spécial que la Review and Herald consacre à « la justice qui s'obtient par la foi », qui comme nous l'avons déjà dit, a été publié par ceux qui voulaient faire contrepoids au « Brinsmead nouvelle manière » des années 70 (49). Dans un écrit intitulé « Pourquoi l'on perd ce que l'on n'utilise pas », J.W. McFarland et J.R. Spangler, pour bien distinguer la justification et la sanctification, déclarent ceci :

La justification efface la noire image du passé, la sanctification remplace celle-ci pour le présent et pour l'avenir, par une belle image. La justification efface les archives du passé, la sanctification maintient la nouvelle page blanche... La sanctification au même titre que la justification, est l'action de Christ dans ma vie (50).

Bien qu'une telle conception tende à rabaisser la valeur de la justification, elle est partagée par le rédacteur en chef de la Review and Herald, Kenneth H. Wood (51), et par George McCready Price (52), toutefois aucun ne va aussi loin que Don Hawley dans son livre Getting It All Together. Voici ce qu'on y trouve :

Donc la sanctification, c'est croître en Christ, et lui ressembler de plus en plus grâce à l'infusion de sa justice (un don réel). Plus le temps passe, moins nous devrions avoir besoin de la justice imputée de Christ, et plus nous devrions réellement posséder en propre la justice qu'Il veut nous impartir (53).

Arnold V. Wallenkampf, dans l'article de la Review and Herald, « Sauvés exclusivement par grâce », affirme que la grâce « qui nous garde » est supérieure à la grâce « qui nous accorde le pardon », et que nous devrions atteindre un état où nous serons capables de vivre sans avoir besoin de la grâce « qui nous accorde le pardon » ! (54)

Dans le chapitre concernant l'Évangile tel qu'il fut prêché par la Réformation, nous avons vu que lorsqu'on subordonne aussi radicalement la justification à la sanctification, on se trouve aux antipodes de la pensée des Réformateurs (55). Le professeur de théologie d'Avondale, Desmond Ford, en est conscient. Aux documents qu'il a présentés à la conférence de Palmdale, il a ajouté un appendice dans lequel il affirme qu'à l'instar du héros Atlas soutenant la terre entière, sans la permanence absolue de la justification, tout l'édifice chrétien s'écroulerait (56). De même dans « The Soteriological Implications of the Human Nature of Christ », Ford précise que la justification est le fondement de la vie sanctifiée du croyant, et que le regard du chrétien doit être fixé sur cette réalité (57).

Dans l'adventisme qui a précédé 1950, nous avons décelé une théorie de la justification selon laquelle elle aurait été l'action créatrice de Dieu dans la vie du croyant. Bien qu'il ne soit pas faux de parler de la justification comme étant l'action créatrice de Dieu, nous avons souligné qu'il s'agit du croyant tel qu'il se trouve en Christ, et non du croyant tel qu'il est en lui-même (58). La même tendance de l'adventisme d'avant 1950 se retrouve dans l'adventisme contemporain : l'idée que la justification consiste à rendre le croyant juste dans les profondeurs de son être. Clifford et Standish sont explicites : La justification est une œuvre intérieure impliquant un changement de caractère chez celui qui est justifié (59). Pour Desmond Ford en revanche, « la justification est le fait de déclarer juste, non pas de rendre juste » (60).

Le pasteur J.W. Lehman de l'église de Campus Hill à Loma Linda en Californie, offre une définition de la justification qui est en harmonie avec le Concile de Trente. Dans une série de quatre allocutions enregistrées ayant pour titre : « Qu'est-ce que la justice ? » (1975), il affirme que la justice c'est l'amour, que le croyant devient juste lorsque l'amour de Christ est déversé dans son cœur. (Cette affirmation est d'autant plus piquante que le pasteur Lehman dans la même série, s'en prend violemment au pélagianisme et au semi-pélagianisme). Dans un sermon intitulé « L'autre moitié du pardon » (61), le pasteur Lehman traite de « quelques malentendus et quelques problèmes concernant la justification par la foi ». Il déclare : « Nous avons toujours maintenu que la justification par la foi a un double aspect : le pardon des péchés, et le fait de rendre juste » (62). Le vice-président de la Conférence Générale, Neal C. Wilson, appuya cette position dans une circulaire recommandant vivement les causeries de Lehman (63).

On trouve une formulation claire de l'Évangile tel que le catholicisme romain le conçoit, dans une étude d'Erwin R. Gane intitulée : « La justification a-t-elle un pouvoir ? » Il dit : « Loin de n'être qu'un acte juridique de la part de Dieu, la justification implique l'intervention immédiate de la part de Dieu pour transformer la vie du croyant » (64). Selon Gane, la justice est une justice extérieure au croyant, seulement dans le sens qu'elle vient de l'extérieur (65). Mais une fois accordée, elle devient l'apanage du croyant autant qu'elle l'est de Christ (66). Cette justice infuse qualifie immédiatement le croyant pour le ciel. Gane assimile cette infusion de la justice à la nouvelle naissance de Jean 3:5, et il en appelle à Tite 3:5-6 pour soutenir sa thèse. Cette nouvelle vie de justice est le propre du croyant uniquement dans la mesure où il « permet à Jésus de régner » (67). Et Gane de conclure son article en affirmant qu'E.J. Waggoner, célèbre pour la prédication de 1888, enseignait que la justification est constituée par l'œuvre du Saint-Esprit dans le cœur du croyant, et qu'A.G. Daniells, qui avait voulu faire revivre le message de 1888, considérait la justification comme « une expérience vitale à laquelle il faut prendre part » (68).

Cette manière de définir la justification est assez répandue dans l'adventisme contemporain (69). De là il n'y a qu'un pas vers l'idée que lors du jugement dernier, le croyant sera acquitté en fonction du renouvellement de son caractère. Si l'on admet que la justification nous réconcilie avec Dieu (ce que l'adventisme a toujours proclamé), et que la justification équivaut à la « grâce sanctifiante », ou inclut celle-ci, il s'ensuit que le croyant est agréé de Dieu en fonction de son renouvellement intérieur. Pour réunir la matière de ce livre, nous avons mené en 1976 une vaste enquête auprès des étudiants des séminaires adventistes des États-Unis, sur le sujet de la justification par la foi. Nous fîmes passer un questionnaire à choix multiple dans onze établissements ; la question 6 était ainsi libellée :

Lors du jugement dernier, mon acquittement sera prononcé en fonction :

a) de mon caractère.
b) du caractère que Christ aura façonné en moi.
c) du pardon des péchés.

Soixante-six pour cent des étudiants du séminaire théologique de l'université Andrews qui répondirent au questionnaire choisirent la réponse b) : « le caractère que Christ aura façonné en moi ». Il n'est pas difficile de comprendre cette réponse de la part des étudiants de ce séminaire adventiste, lorsque le rédacteur en chef de l'un des principaux journaux de l'Église écrit ce qui suit :

Nous avons tous à comparaître lors du jugement dernier, lorsque Dieu, l'Ancien des jours, siègera sur le trône de la justice éternelle, et que tous ceux qui ont vécu seront appelés à comparaître devant Lui... Serons-nous reconnus coupables en ce jour terrible ? Ou bien nos péchés auront-ils été purifiés lorsque nous nous trouverons devant le juste Juge, notre dossier sera-t-il exempt de fautes ? ... Il y a heureusement de l'espoir. Si vous demandez pardon pour vos péchés et appelez au secours, Jésus Lui-même vous aidera, Il a fait la promesse suivante : « Je viens à ton secours » (Esaïe 41:10). L'apôtre Paul trouvait l'offre de Christ plus que suffisante, il s'en réjouissait par ces paroles « Je puis tout par Celui qui me fortifie » (Phil.4:13). Il n'est pas inévitable de continuer de pécher, vous pouvez être une nouvelle personne en Christ, vous pouvez vaincre toute tendance mauvaise, et acquérir un caractère aussi beau que celui de l'admirable Jésus ; ainsi vous pourrez vous présenter sans crainte devant le jugement. Dieu soit remercié pour le don de Jésus-Christ ! (70).

J.L. Tucker, dans It Happened at Night, écrit :

Voici la description de ceux qui sont sauvés et qui sont accueillis par Jésus à sa seconde venue : Ils ont la patience des saints, ils gardent les commandements de Dieu, et ils ont le témoignage de Jésus (Apoc.14:12). Et encore : Bénis sont ceux qui observent ses commandements pour avoir droit à l'arbre de vie (Apoc.22:14). C'est la voix de la sagesse qui nous invite à laisser Jésus venir dans nos cœurs, pour qu'il vive en nous sa vie merveilleuse (71).

Tout le contexte de ce passage montre que Tucker affirme bien que le salut est obtenu par un processus subjectif : le Christ intériorisé. S'il existe une nuance entre ces auteurs d'une part, et d'autre part Herbert Douglass et C. Mervyn Maxwell, elle consiste seulement dans le fait que le premier groupe mentionné omet de conduire sa pensée jusqu'à sa conclusion inévitable, tandis que le second va jusqu'au bout de sa pensée avec une logique sans faille. Les premiers sont implicitement perfectionnistes, tandis que les seconds le sont explicitement.

Si la justice qui s'obtient par la foi n'est rien d'autre que « la bonté de Jésus en nous » (comme l'a écrit R.A. Anderson), alors on n'est pas loin de dire que la justice qui s'obtient par la foi est la perfection. La génération finale est alors constituée de ceux qui reproduisent parfaitement le caractère sans tache de Jésus. Herbert Douglass écrit que les adventistes ...

apporteront au monde la preuve qu'il n'est pas inévitable que l'homme demeure pécheur, qu'il est possible pour l'homme de faire l'expérience de l'absence de péché, de la justice en ayant recours à une foi identique à celle que Jésus a exercée, c'est-à-dire l'expérience de la justice qui s'obtient par la foi. L'adventisme invite le monde en lui disant : « Viens et vois ! » ... (72).

Douglass livre son équation selon laquelle la justice qui s'obtient par la foi ne serait rien d'autre que la perfection dans « l'exceptionnelle contribution de l'eschatologie adventiste » (73). Pour ce rédacteur-adjoint de la Review and Herald, « l'Évangile du royaume est la bonne nouvelle que Dieu peut transformer les hommes et les femmes, et les amener à lui ressembler s'ils font de lui le Seigneur de leur vie » (74).

Le témoignage spectaculaire, exceptionnel et vivant sera en fait « la bonne nouvelle », c'est à dire que Jésus règne dans la vie des hommes. Tel sera l'Évangile aux couleurs vives qui sera « prêché au monde entier pour servir de témoignage à toutes les nations, et alors viendra la fin » (75).

Selon Douglass, le caractère de Dieu n'a pas été reconnu comme juste une fois pour toutes dans la vie et la mort de Christ. L'étape initiale fut celle accomplie par Jésus, mais le style de vie parfait et sans péché des adventistes de la dernière génération, « achèvera de justifier le caractère de Dieu et sa manière de diriger l'univers, et dissipera une fois pour toutes les doutes qui pèsent sur sa justice et son amour » (76). Dieu attend que « son Église apporte la preuve... que la vie de foi que Jésus a vécue, et le caractère qu'il a développé, peuvent être reproduits par tout homme » (77). La façon dont Douglass aborde le sujet de la nature humaine de Christ, doit être comprise à la lumière de ses conceptions de l'eschatologie. Si comme Douglass l'affirme, « Jésus nous a montré ce qu'il est possible d'accomplir » (78), il est alors primordial d'affirmer que le croyant débute dans la vie chrétienne avec les mêmes avantages et inconvénients que Jésus. C'est pourquoi il n'est pas permis d'affirmer que Jésus avait une nature parfaite, car ceci le mettrait « hors de notre portée ».

C'est pourquoi il ne faut pas le considérer comme s'il était l'étoile polaire, un bon guide, mais qu'on ne peut jamais atteindre ; ou bien comme un sur-homme que l'on ne pourrait jamais imiter. Il constitue en fait un modèle à reproduire, un exemple qui nous concerne tous... (79).

Morris Venden est d'accord avec Douglass. Il écrit : « Saviez-vous que la vie de Jésus sur la terre était une démonstration parfaite de la justice qui s'obtient par la foi ? » (80) La publication de Clifford et Standish intitulée Conflicting Concepts of Righteousness by Faith in the Seventh-day Adventist Church : Australasian Division, écrite pour contrecarrer la théologie de Ford et de Brinsmead, ne cache pas ce qu'elle pense de la question qui nous occupe. Si le croyant doit suivre l'exemple de Jésus, il doit prendre le départ dans de bonnes conditions : sa nature charnelle lui est donc extirpée à la nouvelle naissance (81). Ceux qui s'imaginent que cette nature subsiste jusqu'à la mort n'ont pas de raison de lutter contre le péché. Que le croyant soit sauvé exclusivement par la justice imputée de Christ et non par la justice communiquée, voilà bien le poison calviniste dans le bouillon de Ford (82) ! Ceux qui affirment que la nature charnelle subsiste doivent être pris en pitié plutôt que blâmés (83). De plus, on nous met en garde que s'il subsiste tant soit peu d'égocentrisme dans nos œuvres, Christ n'y ajoutera pas ses mérites (84). (On se demande d'ailleurs pourquoi il serait nécessaire que les mérites de Christ soient ajoutés à des œuvres dénuées de la moindre trace d'égocentrisme !)

Nous avons mis côte à côte le perfectionnisme de Douglass et celui du document Conflicting Concepts, parce qu'il semble bien (d'après la correspondance que nous avons pu réunir à ce sujet dans le cadre de la présente recherche) que Conflicting Concepts soit approuvé par les dirigeants de l'Église et par les rédacteurs de la Review and Herald (85). Jamais l'adventisme n'avait été aussi loin dans la formulation du perfectionnisme, que Douglass et que Conflicting Concepts.

Dans By Faith Alone, Norval Pease estime que le perfectionnisme ne se rencontre qu'exceptionnellement dans l'adventisme (86). Mais nous ne pouvons pas souscrire à cette opinion. Nous ne pouvons même pas cataloguer ce néo-perfectionnisme avec celui d'Andreasen et de Branson, c'est un perfectionnisme sans précédent et d'une rare démesure. Jamais au cours de l'histoire de l'adventisme, ne s'était-il vu accorder une telle importance, ni s'était-il exprimé d'une manière aussi explicite. Il va de soi que le thème concomitant de « la nature humaine pécheresse de Christ » ainsi que l'affirmation de l'inexistence du péché originel, sont exprimés aujourd'hui sans retenue par beaucoup de partisans d'une synthèse entre justification et sanctification.

Ford s'oppose au perfectionnisme de l'adventisme contemporain en affirmant qu'il s'agit là d'un faux évangile, en contradiction avec le but du mouvement adventiste qui doit achever l'œuvre d'une Réformation tombée en panne ; il affirme qu'en Christ, le croyant est parfait dès maintenant (87). Par la foi en l'expiation opérée par Christ, le croyant est parfait à chaque étape de sa route (88). La vie du chrétien est un champ de bataille entre deux natures (89), et bien que le caractère de Christ constitue notre objectif de chaque jour, nous ne pouvons atteindre celui-ci en cette vie (90). La perfection chrétienne c'est la maturité, la croissance continuelle dans le caractère de Christ (91). Bien comprise, la perfection n'implique pas l'absence de péché (92). De la même manière, mais en dehors de l'adventisme officiel, Brinsmead exerce une influence décisive dans l'adventisme à l'encontre de l'enseignement perfectionniste de Douglass et de Conflicting Concepts. Dans la revue Present Truth (93) et dans sa réponse à Clifford et Standish (94), Brinsmead a démontré clairement que le perfectionnisme n'est ni biblique (95), ni conforme au solide témoignage du protestantisme de la Réformation (96).

On a de la peine à croire que l'anti-perfectionnisme de la revue Present Truth est le fait de celui qui a produit d'abondants écrits de type perfectionniste dans les années 60. L'évolution des écrits de Brinsmead met en évidence que la croyance en la Justification par la foi seule, provoque le rejet de toute possibilité de perfection en cette vie.


Notes du Chapitre 7




Conclusion : La crise de l'Adventisme

I


L'adventisme contemporain, particulièrement depuis 1970, est en conflit à propos de la nature de l'Évangile prêché par Paul et par les Réformateurs. Deux éléments contradictoires (protestant et catholique romain) ont toujours été présents au sein de l'adventisme lorsqu'il s'agit d'exprimer l'Évangile, mais récemment cela a abouti à deux théologies achevées et distinctes. Les progrès effectués dans les décennies 50 et 60 en matière de christologie et de sotériologie expriment la position protestante quant à l'Évangile. La position catholique romaine, pour se maintenir et se développer, doit nécessairement balayer vingt années de progrès dans le domaine théologique, car cette position catholique romaine considère sa propre existence sur le plan théologique comme incompatible avec la place primordiale accordée à la christologie et à la sotériologie dans la période 1950-1970. Si la position catholique romaine triomphe au sein de l'adventisme, il n'y a aucun doute dans mon esprit, le mouvement devra renoncer à sa prétention de continuer la Réformation. Comment serait-il possible de poursuivre l'œuvre des Réformateurs en s'emparant de leur Évangile pour le remodeler dans le style catholique romain ?

Si l'adventisme apporte une contribution personnelle au christianisme, il n'y a pas de doute que c'est dans le domaine de l'eschatologie. La plupart des théologiens réformés admettront sans peine que la Réformation n'est pas parvenue à développer une perspective eschatologique qui soit cohérente avec ses fondements dogmatiques. Toutefois si l'église adventiste veut parler de poursuivre la Réformation, elle doit mettre au point son eschatologie en l'édifiant sur le fondement posé par les Réformateurs, plutôt qu'en le détruisant.

Si l'on jette un regard d'ensemble sur l'histoire de l'adventisme, on en vient à penser que c'est d'une façon assez vague qu'au départ, la prétention de poursuivre la Réformation a été formulée. Il est même probable que la Réformation n'était comprise que dans les limites de la perspective théologique des premiers adventistes. Toutefois depuis lors, le mouvement s'est développé de façon considérable, et il est difficile de concevoir que mieux informés et instruits, ceux qui expriment la foi adventiste puissent être assez naïfs pour prétendre se situer dans le courant réformé. Il appartient à l'adventiste d'aujourd'hui d'assumer la tâche de représenter plus fidèlement les Réformateurs.

Le nœud du problème de l'adventisme actuel est de saisir la relation qui existe entre la justification et la sanctification ; cette relation correcte entre justification et sanctification a été le point central de la Réformation. Il ne fait aucun doute que les adventistes qui insistent sur le fait que la justice qui s'obtient par la foi signifie justification et sanctification, agissent ainsi en raison d'un désir sincère d'honorer la loi de Dieu et d'éviter le piège de l'antinomisme. Il n'en est pas moins vrai qu'en mélangeant sanctification et justification par la foi, ils s'opposent à la position de Paul et des Réformateurs. Finalement ce mélange a entraîné la confusion.

Cette conception de la justification par la foi atteint son comble dans la théorie de H.E. Douglass, et dans l'influence dominante de la Review and Herald sur l'église. L'Évangile y est réduit à la dimension du croyant (Rome et une grande partie du néo-protestantisme, par exemple Schleiermacher, ont fait de même). C'est le résultat inévitable du mélange de la justification et de la sanctification. Dans cette théologie le croyant lui-même s'identifie au message ; la distance infinie en qualité, entre le Sauveur-Dieu fait homme et ceux qu'Il sauve, devient une simple différence de quantité. Au lieu d'être le Sauveur unique, Jésus devient « l'homme modèle ». L'imitation du Christ annihile la foi dans l'œuvre parfaite du Dieu fait homme, aussi bien que les conséquences éthiques qui résultent de cette œuvre parfaite. Quiconque a la moindre notion de l'Évangile de la Réformation ne peut manquer d'observer que la théologie de Douglass est plus proche de celle de Rome que de celle des Réformateurs. Dire de cette théologie qu'elle poursuit l'œuvre de la Réformation, c'est travestir le sens des mots.

Je le répète, nous devons nous garder de penser que nous sommes plus sages que Paul ou que les Réformateurs dans ce domaine de la justification par la foi. Plus d'une fois, j'ai rencontré cette idée ainsi exprimée : « Il est certain que Paul utilise bien l'expression " justice de Dieu par la foi " dans ce sens, mais nous adventistes, nous avons choisi de l'utiliser à notre façon, pour nous elle englobe à la fois la justification et la sanctification ». Cette manière de concevoir la justification comporte de grands dangers :

1) Le danger principal est que cet usage particulier de l'expression propre à l'adventisme en arrive à bouleverser radicalement l'usage propre à Paul et à la Réformation. Nous pensons que c'est ce qui s'est produit.

2) Ce genre de conception amène les protestants évangéliques à croire que les adventistes veulent se situer au-dessus de l'autorité de la Bible plutôt que sous son autorité.

3) Même si cet usage différent d'une expression biblique n'altérait pas finalement son sens, il faudrait quand même remettre en question cette utilisation, tout particulièrement lorsque cette expression fait partie du cœur même du message biblique. Il y a tellement de prédications fondées sur des textes bibliques, et qui bien qu'elles n'expriment rien d'incorrect ne disent pas ce que dit le texte. Bien que ces sermons affirment la vérité théologique, cet usage du texte jette la confusion dans les esprits sur ce que la Bible veut dire. Ainsi, on se trouve amené à s'écarter du texte biblique.

II

Arrivé à ce point, je voudrais prendre plus de liberté que je ne l'ai fait jusqu'à maintenant dans cet exposé, car pour ce qui me concerne cela n'a pas qu'un intérêt théorique. La raison en est que je ne pense pas rendre justice à l'adventiste en particulier ou à son mouvement, en examinant sa position avec détachement d'un point de vue simplement théorique. Il est évident que l'adventiste peut me demander de m'examiner moi-même lorsque je procède à l'examen du cœur même de l'adventisme. Du point de vue personnel, je ne puis m'empêcher d'être profondément concerné par la mission de l'adventisme, étant un homme d'église dans la tradition réformée. En effet je ne puis que m'intéresser vivement à un mouvement qui sans complexe me fait savoir qu'il a été suscité par Dieu pour poursuivre l'œuvre de la Réformation, d'une manière qu'il m'est impossible de faire !

Après m'être assuré que l'adventisme du 7e jour avait une position fondamentalement chrétienne, j'ai décidé d'accomplir ma tâche avec l'esprit ouvert, et disposé à apprendre même lorsque l'information est surprenante. Ainsi, je veux être franc et honnête car je pense que c'est ce qu'un vrai adventiste attend de moi.

1) Pour commencer, tout bien considéré, le mouvement adventiste a réussi admirablement bien. A partir d'un petit groupe isolé et insignifiant de rescapés du mouvement millérite, il s'est développé jusqu'à devenir une formidable organisation humanitaire mondiale. On ne peut nier ce fait, que l'on croie ou non.

2) Ensuite, l'adventiste est une personne animée d'un dévouement total pour remplir la mission spéciale qu'il croit proposée par Dieu. Si l'on ne tient pas compte de la façon dont l'adventiste a rempli sa mission et de ce qu'il faut en penser, on ne peut nier le fait qu'il s'agisse d'un croyant très pieux et fervent, et cette consécration n'est pas seulement un enthousiasme religieux aveugle dans la plupart des cas. Pendant les années de mes recherches au sein de l'adventisme, j'ai rencontré un zèle rarement égalé ailleurs pour la doctrine de la justification par la foi. Beaucoup des simples membres que j'ai rencontrés sont totalement convaincus de l'Évangile de la justification, par grâce en Christ.

3) Un autre aspect de la mentalité adventiste mérite considération : L'adventiste est zélé pour la loi de Dieu. Le zèle pour la loi de Dieu et le légalisme ne sont pas synonymes, même si certaines personnes remplies de ce zèle pour la loi pourraient nous faire penser que c'est la même chose. Cependant la plupart des adventistes que j'ai rencontrés sont zélés pour la loi de Dieu en tant que traduction dans leur propre vie de la réalité de la justification. En d'autres termes, l'adventiste s'avère soucieux d'assurer un équilibre correct et conforme à la Bible entre la justification et le jugement selon les œuvres. Il estime que le fait d'insister sur l'importance de la justification a pu conduire à oublier l'importance du jugement. On doit applaudir à ce souci d'équilibre entre la justification par grâce et le jugement selon les œuvres, si l'on veut respecter la perspective biblique. La relation correcte entre la loi et l'Évangile dans la vie quotidienne est importante, particulièrement à une époque de sentimentalisme relâché et de morale de circonstance.
Ceci dit, et sans l'intention de revenir sur ce qui vient d'être dit, je désire exprimer quelques aspects préoccupants de l'adventisme en rapport avec le problème central de cet ouvrage :

1) La communauté adventiste présente des signes évidents d'isolationnisme (1). Ce fut spécialement le cas au cours des premières décennies du mouvement, et cela dure encore, bien qu'à un moindre degré. Les premiers pionniers adventistes du septième jour avaient tendance à croire que la colombe du Saint-Esprit avait volé tout droit depuis les apôtres pour se poser sur leurs épaules, avec simplement quelques arrêts facultatifs entre temps. Ils avaient gaiement envoyé promener en fait, tout le processus du développement historique de la doctrine au sein de l'église chrétienne. Le prix à payer pour cela, c'est que la communauté adventiste a dû répéter les erreurs du passé. Il est étonnant d'observer comment l'adventisme a fait revivre les conflits doctrinaux qui ont agité l'église dans le passé. Le mouvement s'est débattu dans une phase de légalisme desséchant, avec les problèmes de la Trinité et les questions christologiques, avec la question de la nature de l'Expiation, et actuellement se débat dans la confusion des problèmes sotériologiques. ( Cela devrait servir d'avertissement à l'adventisme, car lorsque l'église chrétienne a été confrontée au seizième siècle au problème sotériologique, il s'est produit une grave scission dans ses rangs ). Beaucoup de peine inutile, et de la part des autres chrétiens beaucoup de méfiance sans nécessité, auraient pu être évitées si les premiers adventistes avaient admis que le Saint-Esprit avait été à l'œuvre bien avant que « l'église du reste » n'entrât en scène.

Cet isolationnisme se manifeste encore aujourd'hui, je m'y suis heurté plus d'une fois lors de mes recherches à l'intérieur du mouvement. Lorsque dans un esprit de recherche impartiale, je visitai la Conférence Générale des adventistes à Washington D.C., je constatai une répugnance chez les dirigeants d'admettre honnêtement le conflit existant dans l'église au sujet de la nature de l'Évangile. Je me heurtai à un effort réel en vue de me convaincre que tout allait bien dans la communauté du reste, alors que je savais cependant que ce n'était pas le cas. Ce livre constitue un refus de laisser à mes frères adventistes le privilège de régler l'affaire tout seul dans leur coin. La raison de mon refus est ma conviction que le combat qui a lieu présentement au sein de l'adventisme est un combat qui touche tous les chrétiens évangéliques. Et ma raison de penser ainsi provient de ce que les adventistes eux-mêmes m'ont enseigné !

On peut considérer le problème de la façon suivante : A grand renfort d'arguments, les adventistes m'ont démontré que Dieu les a suscités pour corriger ma façon d'interpréter l'Évangile de la Réformation, et ceci pour m'empêcher de glisser vers le catholicisme romain. Ce discours ne les empêche pourtant pas de s'affronter entre adventistes au sujet de la nature de l'Évangile, cette question de vie ou de mort. N'est-il pas normal que je sois intéressé par ce conflit ? Tous les « protestants apostats » comme ils les appellent, ne devraient-ils pas s'y intéresser également ? Mais d'autre part, qui va prendre au sérieux une communauté à propos de l'Évangile, si cette communauté ne parvient pas à se mettre d'accord sur ce qu'est l'Évangile ?

Je suis convaincu que c'est la raison pour laquelle les dirigeants de la Conférence Générale ont tenté de minimiser cette lutte lorsque je leur ai rendu visite à Washington. Ils devaient sans doute avoir peur que le monde protestant ne prenne pas au sérieux leurs extraordinaires prétentions, si ce conflit était connu. Toutefois, comme j'ai tenté de le souligner, il n'est que juste que les protestants évangéliques soient mis au courant de la crise qui agite aujourd'hui l'adventisme.

2. Le triomphalisme est un autre aspect de l'adventisme, tel que j'ai pu l'étudier (2). Remarquons d'emblée que le triomphalisme guette en premier lieu toute personne qui croit sincèrement que Dieu a fait d'elle son enfant chéri des derniers jours. Toutefois le triomphalisme n'est pas inhérent à l'adventisme ; il y a assez de mises en garde dans l'Écriture (par exemple dans Marc 10:42-45) pour inviter l'adventiste à la vigilance. De plus Ellen White elle-même a souvent mis en garde les adventistes contre l'arrogance, l'orgueil et la tendance à s'ériger eux-mêmes en norme. Une église où règne le triomphalisme, et des dirigeants dominés par l'esprit du triomphalisme, sont particulièrement lents à reconnaître franchement des erreurs. L'adventisme n'admet que rarement celles qu'il a commises.

La période allant de 1950 à 1970 illustre bien cette tendance. Le livre Questions on Doctrine constituait une véritable rupture par rapport à ce que l'église adventiste avait enseigné au sujet de la nature de Christ ; il rejetait radicalement l'idée que Jésus aurait eu une nature pécheresse. Et pourtant à ma connaissance, les dirigeants n'avouèrent pas cette volte-face aux simples membres d'église, ni au monde protestant évangélique. Pourquoi noyèrent-ils le poisson en prétendant que seulement « des lunatiques de la périphérie » de l'église pensaient et enseignaient ce qui avait bel et bien été la doctrine adventiste jusque-là ?

Et aujourd'hui on désavoue ce que Questions on Doctrine avait affirmé hier. J'ai entendu des dirigeants adventistes prétendre que la doctrine de la nature humaine parfaite de Jésus est une « hérésie maudite ». J'ai pu lire des lettres émanant de Washington qui laissent entendre que la direction actuelle de l'Église est radicalement en désaccord avec Questions on Doctrine. Mais de nouveau, pas la moindre déclaration franche et officielle. Sans compter les protestants évangéliques à qui l'on fait toujours croire que Questions on Doctrine représente la position officielle de l'Église, de nombreux membres d'église se demandent ce qu'il en est, et ce que les dirigeants de l'Église pensent des positions défendues dans cet ouvrage. Pourquoi ce silence ? Les dirigeants adventistes désirent-ils que le monde évangélique ignore qu'ils ont commis de graves erreurs ?

Le conflit entre les dirigeants et Robert Brinsmead dans les années 60, illustre également ce phénomène. Les dirigeants eurent recours aux docteurs Heppenstall et Ford pour organiser l'opposition contre Brinsmead. Lorsque dans les années 70, Brinsmead se laissa convertir à la position défendue par Heppenstall et Ford, on aurait pu s'attendre à voir les dirigeants se réjouir, or la réalité quasi-incompréhensible est qu'ils se sont ralliés à des conceptions doctrinales que Brinsmead venait d'abandonner ! Il suffit de lire la Review and Herald pour s'en rendre compte. De plus ils font subir à Desmond Ford, instrument puissant auquel ils ne voient plus d'utilité, des pressions intolérables. Voici en fait ce que je veux faire apparaître : Les dirigeants de l'Église n'ont pas reconnu officiellement avoir changé leur position doctrinale, ils embrassent aujourd'hui ce qu'ils ont combattu hier, mais ils ne le reconnaissent pas. Pourquoi ce manque de franchise ? Les dirigeants de l'Église sont-ils donc incapables de se repentir sincèrement ?

En pénétrant ainsi au cœur de l'adventisme, j'ai été amené à faire une comparaison intéressante entre le comportement des dirigeants à l'époque du réveil de 1888, et celui des dirigeants d'aujourd'hui. La crise actuelle semble à bien des égards, une répétition de celle de 1888. Je m'explique : lorsque je me suis entretenu avec les dirigeants de l'Église à Washington, ils m'ont assuré qu'il n'y a « pas un seul adventiste qui ne sache ce qu'est la justification par la foi seule ». Or, n'est-ce pas exactement ce qu'Uriah Smith, le rédacteur en chef de la Review and Herald de l'époque, affirma lorsque Waggoner et Jones tentèrent de remettre à l'honneur la même doctrine ? (3)

De même, la grande crainte d'Uriah Smith était que l'accent que Waggoner et Jones faisaient porter sur la justification par la foi, était la caractéristique fondamentale du protestantisme apostat, cette nouvelle « Babylone ». Or, certains adventistes ne réagissent-ils pas de la même manière dans la crise actuelle ? Ils ont peur, et ils le disent, que l'accent mis sur la justification par la foi équivaille à l'adoption de la religion protestante « babylonienne ». En outre, aussi bien en 1888 qu'actuellement, ceux qui s'opposent au rétablissement de la primauté de la justification par la foi, préconisent un retour à l'adventisme « historique ».

L'église adventiste du septième jour peut-elle se permettre de prêcher la repentance aux églises protestantes évangéliques, alors que ni elle ni surtout ses dirigeants, ne semblent savoir ce qu'implique la véritable repentance ? A cause de certaines allusions à la nécessité de la repentance que l'on a pu lire récemment dans la Review and Herald, je dois préciser que je ne parle pas de la repentance-alibi sur des questions secondaires, mais de la repentance qui concerne les questions fondamentales et vitales de la foi. Je tiens à préciser que ce que je dis ici à mes frères adventistes, je le dis aussi à ma propre Église, et aux chrétiens où qu'ils soient. Prions pour que nous n'imitions pas l'exemple d'Esaü, qui rechercha la repentance sans l'obtenir.

3. L'adventisme est aussi caractérisé par la peur de l'antinomisme, c'est-à-dire la peur du rejet de toute règle morale et spirituelle. Aucun de ceux qui prennent la Bible au sérieux n'en fera le reproche aux adventistes. Nous ne critiquons pas cette crainte en tant que telle, mais les effets souvent néfastes qu'elle a sur l'adventisme. La crainte de l'antinomisme fait souvent tomber l'adventisme dans l'erreur opposée, celle du légalisme. Le chrétien doit craindre tout autant le légalisme que l'antinomisme, ce sont deux erreurs qui tendent à dépouiller Dieu de sa gloire. L'adventisme s'imagine à tort que le légalisme est un moindre mal.

Si les adventistes s'efforcent de faire de la sanctification une partie intégrante de la justice qui s'obtient par la foi, c'est en fait pour tenter d'éviter le piège de l'antinomisme. Ils ont peur qu'en accordant la place d'honneur à la justification, ils n'en arrivent à négliger la sanctification. Et pourtant, la Bible ne parle pas d'un tel risque, cette crainte est étrangère à l'esprit de l'Écriture. De plus, le fait d'exclure la sanctification de la justice qui s'obtient par la foi, est le plus sûr moyen de venir à bout de l'antinomisme. La loi n'est vraiment exaltée que lorsque l'on reconnaît sans restriction que toutes ses exigences, même les plus difficiles à observer, ont toutes été satisfaites par Jésus, l'homme qui est aussi Dieu, au cours de sa vie ici-bas, et par sa mort expiatoire. Voilà en quoi consiste la Bonne Nouvelle ! Dès lors, prétendre que l'observation de la loi par le croyant ferait partie de la Bonne Nouvelle (ou la constituerait intégralement !) comme dans le système théologique de Douglass, aboutit à déshonorer la loi pour la simple raison qu'il est impossible au croyant de parvenir à la perfection que Dieu a manifestée en la personne de Celui qui est à la fois Dieu et homme, à savoir Jésus de Nazareth. Il faut que les adventistes renoncent à réagir d'une façon aussi simpliste contre l'antinomisme, car leur manière de faire les mène tout droit au légalisme ; ce n'est qu'alors qu'ils pourront rendre le monde protestant sensible à la véritable relation qui existe entre la loi et l'Évangile.

4. Pour terminer, je voudrais faire quelques remarques sur la manière dont les adventistes font usage des écrits d'Ellen G. White dans la crise actuelle. Les meilleures pages de Madame White, selon moi, sont celles où elle invite les adventistes à considérer la Bible comme l'autorité suprême dans les questions controversées : « La Bible doit être présentée au monde comme la parole d'un Dieu infini, comme le point final de toute controverse et le fondement de toute croyance » (4) Et pourtant dans le cadre de la crise actuelle, j'ai assisté à un recours frénétique aux volumineux écrits d'Ellen White, pour en extraire des passages susceptibles de faire marquer des points contre l'adversaire. C'est ainsi que des compilations ont vu le jour, qui isolent chaque citation de son contexte, et dont on fait une collection censée être le dernier mot sur la question. Cette manière de faire ne fait justice ni à la Bible ni à la pensée de Madame White. C'est un symptôme inquiétant que de voir un être humain comme Madame White, bien que dotée de talents et consacrée au service de Dieu, recevoir une autorité supérieure à celle de la Bible, et plus grande que celle qu'elle a elle-même réclamée.

Et ce n'est pas tout. J'ai dit que Madame White a énormément écrit, et c'est au cours d'une longue carrière que ses œuvres ont progressivement vu le jour. Les circonstances qui ont présidé à leur rédaction ont considérablement varié d'un écrit à l'autre. Pour faire un usage correct de ces écrits, de manière à ne pas en fausser le sens, il faudrait bien davantage de compétence que les adventistes n'en font preuve généralement. Certains théologiens adventistes sont manifestement inquiets de l'usage superficiel et puéril qui est fait des écrits d'Ellen White. On fait d'elle une girouette, on lui fait dire une chose puis son contraire, et puis une autre encore. Si les adventistes veulent que Madame White n'ait plus aucun crédit dans leur Église, qu'ils continuent donc à utiliser ses écrits comme des projectiles à l'occasion de leurs disputes internes. A lui faire épouser toutes les causes, elle finira par n'être plus crédible.

Je crains vraiment que l'usage que les adventistes font de Madame White témoigne d'une attitude à l'égard de la Bible qui est aux antipodes de celle du protestantisme. J'ai bien peur que beaucoup d'adventistes croient comme les catholiques romains (ceux d'autrefois en tout cas), que la Bible est trop difficile à comprendre pour les simples chrétiens. Ils s'en remettent alors à Madame White pour connaître la volonté de Dieu ; les dirigeants, les théologiens et les pasteurs adventistes, sont responsables de cette situation. Qui d'autre aurait enseigné aux laïcs à se comporter de cette manière ? Je tiens à préciser que tant que cette situation se perpétuera, l'adventisme n'aura aucune chance d'être pris au sérieux par le protestantisme évangélique, qui reste attaché au principe du Sola Scriptura des Réformateurs (« la Bible seule »).

Pour conclure, je tiens à interpeller les dirigeants, les théologiens, et les pasteurs de l'église adventiste, par les paroles suivantes :

La Bible, la Bible seule doit être notre credo, notre lien, tous ceux qui s'inclinent devant cette sainte Parole vivront en harmonie. Nos efforts ne doivent pas être dirigés par nos propres vues et nos idées. L'homme est faillible, seule la Parole de Dieu est infaillible. Au lieu de nous disputer, exaltons le Seigneur, résistons à nos adversaires comme l'a fait le Maître par un « Il est écrit », élevons la bannière portant l'inscription : La Bible, notre règle de foi et de discipline (5).


Notes de la Conclusion


Communication des éditeurs français

Pour résumer la pensée de l'auteur, l'adventisme se revendique comme héritier et continuateur de la Réforme, alors qu'il n'en manifeste ni la doctrine ni l'esprit. Ni la doctrine parce que le fondement de la Réformation inspirée par Saint-Paul et Augustin, c'est une grâce accordée gratuitement en vertu de l'événement de la Croix, dont le mérite du sacrifice -extérieur et étranger au pécheur intrinsèquement mauvais et incapable de toute justice personnelle- revient à Christ seul. En ajoutant comme condition du Salut la sanctification, on insinue que le pécheur doit atteindre un niveau de perfection -même relatif- qui l'assure pour le Jugement et le qualifie pour le Ciel. Ce semi-pélagianisme nous ramène aux 16e et 17e siècles, au cœur du conflit qui opposait Luther et Calvin, mais aussi Jansénius, Bérulle ou l'abbé de Saint-Cyran, aux jésuites et théologiens catholiques du Concile de Trente. Ce perfectionnisme latent qui sous-tend une culture élitiste est emblématique de l'adventisme, à travers l'idée d'une exclusive Eglise du Reste, et de l'observation de la Loi comme complément légal obligé de la Grâce. L'enseignement de cette position dogmatique d'essence catholique romaine induit soit un légalisme de propre justice, soit une insatisfaction de vie chrétienne souvent observée chez l'adventiste sincère, frappé d'un déficit de conviction -parfois même d'un doute- quant à son propre salut.

Malgré quelques bonnes intuitions sur le sabbat, le sommeil des morts, la santé, etc, cette distorsion subtile au point central de la foi chrétienne annonce hélas d'autres errements sur le thème des prophéties, celles contenues en particulier dans Daniel 8:14 et Apocalypse 13, en rapport avec les fameux décrets ou lois du dimanche toujours en attente de promulgation. La théorie du sanctuaire selon l'interprétation adventiste est née de l'imagination de O.R.L Crosier traversant un jour un champ de maïs, tandis que Joseph Bates conjecturait sur une persécution à court terme, sur la base de lois dominicales appliquées localement à l'encontre de provocateurs sabbatistes un peu trop zélés. Que reste-t-il de biblique dans toutes ces doctrines, qui résisterait à une étude objective fondée sur une saine exégèse, et à une analyse sérieuse de l'histoire ? A ces énigmes prophétiques, il existe pourtant aujourd'hui des solutions théologiques solides, construites et cohérentes, qui nous situent précisément dans le Temps de Dieu, mais elles sont actuellement méconnues du public et tenues sous le boisseau.

Un autre trait caractéristique de l'adventisme antinomique de la foi protestante, c'est le centralisme du pouvoir, une structure pyramidale avec au sommet un Président de Conférence générale. Ce schéma organisationnel de type catholique romain s'oppose à l'idée de sacerdoce universel où le croyant est l'égal de tout autre en devoir et position. La hiérarchisation des membres réglée par l'exécutif trouve son archétype en la figure charismatique d'Ellen Gould White, dont le rapport à l'histoire du mouvement est fusionnel et organique : occulter Ellen White c'est arracher et amputer une partie essentielle de l'adventisme. En effet la formation du credo de l'Eglise est indissociable de ses nombreux écrits et prétendues visions, qui sont comme l'apposition d'un sceau d'approbation de la véracité divine. L'entretien permanent d'un culte de la personnalité autour de cette image centrale de l'adventisme, a conduit nombreux observateurs extérieurs à assimiler le mouvement à une secte.

Dans la Revue Adventiste d'octobre 2002, dans la série des thèmes récurrents favoris, on déclare Ellen White vraie prophète à l'égal de Nathan, Elie, Elisée, ou Jean-Baptiste, et ses écrits suggérés comme deutérocanoniques. Dans le même article, la rédaction du journal laisse dire que « Madame White est la personne la plus équilibrée en dehors de Jésus-Christ » !!! Dans ce numéro exemplaire est aussi rapporté le discours du Président de la Conférence Générale Jan Paulsen (1), qui révèle le conservatisme de la direction de l'Eglise, et son attachement indéfectible à la soi-disant vision prophétique de Madame White, lors de l'ouverture d'un colloque tenu en Grèce et en Turquie en mai 2002.

... C'est sans doute le moment d'examiner nos relations avec les autres communautés chrétiennes. On me demande souvent si notre position sur l'oecuménisme a changé, si elle s'est adoucie, et si en conséquence nous devons remanier les bases de notre vision prophétique ? La réponse est catégoriquement non ! ... Il n'y a pas de changement dans notre volonté de demeurer à part, pas plus qu'il est nécessaire de changer les bases de notre vision prophétique ... Nous continuerons à nous considérer comme « le reste historique de Dieu » rassemblant « le reste fidèle » de tous les coins de la planète, pour servir ses plans.

... Et pourtant nous nous considérons comme un peuple spécial, nous faisons appel à la notion de reste, quoique souvent avec hésitation, nous ne savons pas très bien comment en parler ... Nous sommes persuadés que le fait d'être adventistes du septième jour a une incidence directe sur notre salut. Même s'il est possible à un catholique d'être sauvé, je risquerais ma vie spirituelle tout entière ainsi que mon salut, si je m'éloignais de mes choix actuels pour rejoindre une autre communauté.

Nous croyons également que la communauté adventiste est un instrument de salut sans pareil entre les mains de Dieu. Nous sommes convaincus de toutes ces choses, mais nous nous arrêtons net à l'idée de dire qu'il faut être adventiste pour être sauvé. « Et s'il n'est pas nécessaire de l'être, pourquoi s'en faire ? » demanderont certains. Suis-je suffisamment clair ?

Oui en effet, ce discours charnel, sectaire, et irresponsable de Jan Paulsen, paraît suffisamment clair ! Voici un Président de Conférence Générale, porte-parole officiel de l'Eglise Adventiste du Septième Jour, qui semble adresser comme un reproche envers ceux qui hésitent encore à corréler directement le Salut universel offert gratuitement à tous par Jésus-Christ, avec l'appartenance à son organisation religieuse, comme le passage obligé vers la Vie ! Ici on est loin, très loin du principe protestant où le croyant est directement relié à Dieu, responsable de sa foi et de ses actes. Le membre est sous tutelle et influence d'une organisation qui le conduit en toute sécurité vers le Ciel ! Puis le hiérarque ramène l'attention vers une fidélité redoublée aux écrits de la voyante et prophétesse, la confidente privilégiée permanente des anges et de Dieu.

Nous portons chaque semaine notre attention sur la même étude biblique (les études de l'Ecole du sabbat). Et tous nous profitons du don que Dieu a fait à notre Eglise grâce aux écrits d'Ellen White ... Le message historique du sanctuaire fondé sur les Ecritures et confirmé par les ouvrages d'Ellen White, continue d'être en vigueur sans aucune équivoque possible. L'autorité inspirée sur laquelle se basent ces doctrines entre autres, c'est-à-dire la Bible appuyée par les écrits d'Ellen White, représente toujours le fondement herméneutique sur lequel repose notre Eglise en matière de foi et de conduite. Que personne n'imagine qu'il y a eu un changement de point de vue à ce sujet.

Vingt cinq ans après la crise, on ne parle plus de renouveau évangélique dans l'Eglise Adventiste. Tous les acteurs de ce drame -professeurs, pasteurs, membres- ont été systématiquement censurés, évincés, ou congédiés comme subversifs. Aujourd'hui la direction du système a retrouvé sa sérénité, elle exerce le pouvoir en distillant et rabâchant ses grandes « vérités prophétiques » qui pour certaines versent dans le délire interprétatif, au mépris des règles élémentaires de l'herméneutique. Dans ces conditions de verrouillage et à n'en pas douter, toute nouvelle tentative de réforme sera à l'avenir à nouveau étouffée. L'indigence de la recherche et de la réflexion théologiques est compensée par le souci de paraître au monde comme une religion fréquentable politiquement correcte. Mais le Seigneur ne permettra pas que Ses brebis restent ôtages de mercenaires, le moment venu il faudra se départir des luttes partisanes pour relever le défi de l'ultime témoignage à rendre au monde, de cette grâce offerte à l'humanité, avant l'indicible Parousie.

La première édition du livre de Geoffrey J. Paxton a paru en 1977 aux États-Unis. Depuis cette date, la crise qui secoue l'adventisme s'est considérablement aggravée. Nos lecteurs désireront connaître la suite de ce conflit qui oppose deux conceptions du salut au sein de l'adventisme. Nous avons donc jugé nécessaire de préparer un appendice présentant brièvement les principaux développements de la crise dans la période 1977-1982.

Les éditeurs français.

Note de Communication éditeurs

Appendice : Une crise décisive : 1977-1982

Le renouveau évangélique apparu dans les années 1970 au sein de l'adventisme, se caractérise par une consécration sans réserve à l'Évangile, à la vérité centrale de la justification par la foi. Il rencontre alors une opposition non moins déterminée de la part de ceux qui défendent les positions traditionnelles qui subordonnent la justification à la sanctification. Une crise sans précédent secoue l'adventisme, remettant en question à la lumière de la justification par la foi, des positions doctrinales qui semblaient immuables. Deux théologies bien distinctes, deux conceptions du salut s'affrontent comme au temps de la Réformation.

En juillet 1979, Robert Brinsmead démontre dans l'ouvrage 1844 Re-Examined, (1) que la croyance en un jugement préliminaire commençant en 1844, « unique contribution de l'adventisme à la théologie chrétienne », ne repose sur aucun fondement biblique sérieux. Le contexte de Daniel 8:14 ne permet pas d'appliquer ce verset à un jour antitypique des expiations. L'Évangile démasque cette interprétation erronée.

Le 27 octobre 1979, lors d'un exposé organisé par l'association des Forums adventistes, Desmond Ford, professeur au Pacific Union College en Californie, expose publiquement ses convictions concernant le jugement préliminaire, l'interprétation traditionnelle de Daniel 8:14, la date de 1844, et l'autorité donnée aux écrits de Madame White. Walter Utt, professeur dans le même collège, commente cette réunion dans la revue Spectrum :

Dans son exposé, Ford déclare que la conception adventiste traditionnelle du sanctuaire ne peut être soutenue par l'Écriture... Le problème soulevé par Desmond Ford lors de cette réunion n'est pas nouveau. Depuis des années, nombreux sont ceux qui se préoccupent de l'absence de fondement biblique aux conceptions adventistes du sanctuaire, du ministère du Christ, et de la signification de 1844. La différence dans la situation actuelle réside dans la nécessité où se trouve l'Église des années 1980, de poser publiquement une question doctrinale plutôt que d'en débattre discrètement dans quelques cercles théologiques fermés (2).

L'exposé de Ford et le débat qui s'en suivit déclenchent une avalanche de réactions dans les cercles adventistes. Les dirigeants de la Conférence Générale demandent à Ford de venir à Washington préparer pendant les six mois à venir une thèse sérieusement documentée développant ses conceptions au sujet de Daniel 8:14, du jour des expiations, et du jugement préliminaire.

A la fin du printemps 1980, Robert Brinsmead publie un livre d'une importance déterminante intitulé Judged by the Gospel : A Review of Adventism ( Jugé par l'Évangile : Un examen de l'adventisme). Voici ce qu'il déclare dans la préface :

L'Évangile, vérité claire et sûre, doit mettre sérieusement et radicalement en question tout ce que nous enseignons et accomplissons. Luther a déclaré que « si l'article de la justification se perd, c'est tout l'enseignement chrétien qui se perd avec lui » (3). Il estimait que si nous sommes dans la vérité concernant cet article central de la foi chrétienne, nous serons essentiellement dans la vérité en dépit de toutes nos erreurs ; mais si nous sommes dans l'erreur concernant le fondement de la foi, nous serons essentiellement dans l'erreur, malgré toutes nos vérités.

Confesser la véracité de la Bible se révèle insuffisant, beaucoup de sectes s'en réclament. Nous devons confesser que la vérité de la Bible, c'est l'Évangile de Christ. Toutes les autres vérités doivent être considérées comme un reflet de cette vérité unique et centrale, et toutes les confusions doctrinales proviennent de la confusion au sujet de l'Évangile. Une foi religieuse saine présuppose donc une compréhension correcte de l'Évangile. Tous les aspects de notre foi doivent soutenir le jugement de l'Évangile. Nous ne devons pas arranger et modifier l'Évangile pour l'accommoder à nos traditions, au contraire celles-ci doivent être harmonisées avec la vérité de l'Évangile (4).

Cet ouvrage de Brinsmead suscite les réponses enthousiastes de beaucoup d'adventistes à travers le monde. Un théologien adventiste influent écrit :

J'ai lu peu de manuscrits avec autant d'intérêt. J'ai pleuré en priant, pleuré sur l'état de l'Église, pleuré sur l'avenir inquiétant, pleuré de joie car Dieu m'a enfin libéré.

Un pasteur influent déclare :

C'est le document à la fois le plus dévastateur et le plus libérateur que j'ai jamais lu.

Du 10 au 15 août 1980, une importante rencontre théologique rassemblant environ 115 administrateurs et théologiens adventistes du monde entier, se déroule à Glacier View dans le Colorado aux États-Unis, pour débattre des problèmes soulevés par la thèse de Desmond Ford (5). Jean Zurcher, secrétaire de la Division Eurafricaine, exprime bien toute l'importance de cette rencontre :

Le sujet débattu ne peut laisser aucun de nous indifférent, puisqu'il y va de la doctrine la plus spécifiquement adventiste : le sanctuaire céleste et l'instruction du jugement. ... Il met en question l'un des piliers de notre foi, et jusqu'à la raison d'être de notre Église (6).

Le 18 septembre 1980, Desmond Ford n'ayant pas modifié ses positions théologiques, est exclu du corps pastoral adventiste ; il déclare le 28 septembre 1980 lors d'un interview, en réponse à une question sur la cause de son licenciement :

La raison fondamentale réside probablement dans la forte opposition à mon insistance sur la primauté de la justification. Or sur cette base, il s'est avéré impossible de me renvoyer, quoique nombreux soient ceux qui ont eu le sentiment depuis des années que je devais être renvoyé, parce que cette insistance sur la primauté de la justification a paru elle aussi, comme un défi à la pensée adventiste traditionnelle. Depuis des années j'ai rencontré beaucoup d'opposition dans ce domaine. Je pense que certains « bons et fervents adventistes » estiment providentielles mes déclarations lors de cette réunion des Forums adventistes, puisqu'elles ont été un moyen pour m'écarter du ministère. A leur sens, cela ne pouvait être qu'une bénédiction et une mesure de sécurité (7).

Le renvoi de Ford est accueilli avec consternation à l'Université Andrews, centre théologique adventiste. Des étudiants au séminaire théologique, pour la plupart pasteurs consacrés préparant un doctorat en théologie, entreprennent alors de publier Evangelica, revue évangélique bimestrielle, dans le but de promouvoir le renouveau évangélique au sein de l'église adventiste.

Les pasteurs qui protestent contre le renvoi de Ford, et enseignent ouvertement l'Évangile libérateur et ses implications doctrinales, sont à leur tour traduits devant des comités, et exclus du corps pastoral adventiste. D'autres démissionnent sous la pression de l'administration, ou volontairement pour raison de conscience. Devant l'attitude intolérante des dirigeants, des membres d'église s'organisent en églises locales ou groupes évangéliques indépendants.

Desmond Ford fonde un groupe d'évangélisation indépendant : The Good News Unlimited. Il entreprend une vaste campagne interconfessionnelle pour annoncer l'Évangile : émissions radiophoniques, rencontres de week-end, séminaires, congrès évangéliques et publications. Le 6 juillet, le pasteur Smuts van Rooyen, prédicateur adventiste mondialement connu et professeur assistant de Nouveau Testament à l'Université Andrews, se joint à l'équipe de Good News Unlimited. Il avait cédé aux fortes pressions de l'administration universitaire et de la Conférence Générale, lui demandant de démissionner en raison de ses convictions théologiques incompatibles avec les positions officielles.

Dans la revue Verdict, numéros de juin, septembre et octobre 1981 (8), Brinsmead donne une nouvelle dimension à la loi de Dieu et au sabbat à la lumière de l'Évangile. Alan Crandall décrit la crise de l'adventisme dans la revue Evangelica de mai 1982 :

Aujourd'hui, le désarroi s'accroît au sein de l'adventisme. Des vingtaines de professeurs de collège et de séminaire ne croient plus à ce qui leur est demandé d'enseigner, et des centaines de pasteurs restent encore en charge de leurs églises malgré le fait qu'ils atténuent, et parfois même renient ouvertement des positions spécifiques à l'adventisme. Des membres d'église conservateurs s'attaquent à un certain nombre de collèges de la dénomination (tels que P.U.C., S.M.C. et Avondale) où des professeurs enseignent ouvertement des conceptions non traditionnelles. Dans certaines fédérations d'églises - particulièrement en Californie, en Australie et en Europe - beaucoup de pasteurs encouragent activement un « nouvel adventisme » évangélique... (9)

La revue Evangelica du mois de février 1982 donne une liste d'une centaine d'employés de l'œuvre adventiste, pour la plupart pasteurs consacrés, qui ont été renvoyés ou obligés de démissionner, ou qui ont démissionné volontairement par fidélité à l'Évangile.

Dans un article sur la vaste épuration actuellement en cours au sein de l'adventisme, Sharon Nogle Herbey cite non seulement de nombreux cas dans les pays anglo-saxons, mais aussi en Afrique du Sud, et un cas en Norvège. Le pasteur Francis Campbell, président d'Union en Afrique du Sud, ne voulant pas taire ses convictions évangéliques, fut mis en demeure de démissionner. Aage Rendalen, rédacteur de l'édition norvégienne de la revue Signes des temps, « commit le péché presque impardonnable de recevoir chez lui pendant quelques jours l'abominable Robert Brinsmead, rédacteur de la revue Verdict ». Il fut lui aussi obligé de démissionner en raison de ses convictions évangéliques. Il est maintenant rédacteur adjoint de la revue Evangelica. Sharon Nogle Herbey conclut ainsi son article :

Quand cette épuration qui s'accentue se terminera-t-elle, et comment affectera-t-elle l'histoire de l'adventisme ? C'est un sujet d'intense spéculation à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'adventisme. Le petit mais significatif renouveau évangélique qui a provoqué un réveil au sein de la dénomination cette dernière décennie, est-il maintenant en voie d'être méthodiquement écrasé ? L'église adventiste prétendra-t-elle encore être une église protestante alors qu'elle s'oppose au sola fide et au sola scriptura du protestantisme ? L'adventisme retourne-t-il à un esprit sectaire dont il aurait pu sortir ? Une chose est certaine : sans ses hérauts de l'Évangile, prédicateurs et professeurs, l'adventisme ne sera plus jamais le même (10).


Notes de l'Appendice




Glossaire

Ce très modeste glossaire est destiné à faciliter pour les lecteurs de langue française, l'accès et la compréhension d'un texte qui sans cela, pourrait parfois paraître obscur à quelques personnes peu familiarisées avec une terminologie théologique, historique, ou philosophique peu usitée dans le langage de tous les jours.




Bibliographie